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Ainsi, la commune s’est constituée sous la pression d’une triple nécessité. Elle est comme le corollaire de la paix de la ville, de l’affranchissement de la ville et de la fortification de la ville[1]. Une fois établie et reconnue par les pouvoirs publics, elle fait de la population urbaine un être juridique, une personne morale indépendante, distincte des unités corporelles qui la composent. La ville, selon l’expression de Beaumanoir, est une « compaignie, lequele ne pot partir ne desseurer, ançois convient qu’ele tiegne, voillent les parties ou non qui en le compaignie sont[2]. » Arrivée à ce point, la ville du moyen âge est achevée. Elle est une seigneurie collective, elle fait partie de la hiérarchie féodale. Elle possède son trésor, son beffroi, son sceau et ses magistratures propres, son corps de ville, qui la personnifie, qui peut « perdre et gaaigner » pour l’ensemble.

En général, les premières communes ne se fondèrent point pacifiquement. La transformation sociale dont elles naquirent était trop profonde, elle allait trop à l’encontre de l’état de choses traditionnel, des droits acquis, des habitudes prises, des intérêts conservateurs, pour ne pas provoquer d’énergiques résistances. Le xie et le xiie siècle sont pleins de luttes intestines. En dépit de la rareté des documents que nous avons conservés, ils nous apparaissent singulièrement turbulents et agités. À Liège, à Cologne, à Worms, à Spire, à Mayence, à Beauvais, à Laon, à Tournai, à Cambrai, les constitutions municipales s’achèvent par la violence. Et, chose caractéristique, c’est la population marchande qui s’y montre partout à la tête des révoltés. À Cologne, en 1074, le soulèvement est provoqué par la réquisition pour le service de l’archevêque du bateau d’un praedives mercator[3]. À Cambrai, ce sont les bourgeois les plus riches qui dirigent l’insurrection[4]. Pendant la guerre des investitures, les marchands révoltés contre leurs évêques s’engagent dans l’armée de l’empereur[5]. En Flandre, enfin, après l’assassinat de Charles le Bon en 1127, ce sont encore eux qui s’insurgent les premiers contre le nouveau comte, Guillaume de Normandie[6].

  1. Communiam ad defensionem et securitatem ville sue et rerum suarum. Charte de la Rochelle, dans Hegel, Städte und Gilden, II, p. 15, n. 3.
  2. Beaumanoir, éd. Beugnot, I, p. 316.
  3. Lambert de Hersfeld, Annales, édit. in-8o, p. 150.
  4. Gesta episcop. Camerac. Mon. Germ. Hist. Script., VII, p. 438.
  5. Bruno, De bello Saxonico. Mon. Germ. Hist. Script., V, p. 366 : Henricus, exercitu non magno nec forti congregato, nam maxima pars ejus ex mercatoribus erat, obviam nostris ire paravit.
  6. Le principal grief des révoltés contre le comte Guillaume étant la violation de la promesse faite par lui de supprimer le tonlieu, il est clair que ce sont