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particulières et ont fini par les subordonner toutes à leur autorité supérieure.

Ce qui est vrai des États et des grands fiefs l’est aussi des villes. En possession d’une paix spéciale, elles s’arrachent aux diverses juridictions dans lesquelles elles se trouvaient engagées à l’origine. La période de morcellement prend fin. Quand la paix a triomphé, la ville forme un territoire juridique distinct. Le principe de la territorialité du droit l’emporte désormais sur celui de la personnalité. Soumis tous également au même droit pénal, les bourgeois, fatalement, participeront tous, tôt ou tard, au même droit civil. La coutume urbaine, dérivée du jus mercatorum, se répandra à la longue jusqu’aux limites de la paix, et la ville formera, dans le plein sens du mot, une communauté de droit[1].

On peut citer ici, pour prouver cette vérité, un texte particulièrement instructif de Gislebert de Mons. Ce chroniqueur, racontant l’établissement de la paix de Valenciennes par le comte de Hainaut Baudoin IV, s’exprime en ces termes : Qui videns Valencenas, villam bonam multisque hominibus populatam, quasi nulli legi subjacere, unde ipsa villa minima pace gaudebat, habito hominum suorum consilio et consensu, legem instituit, que pax nominatur. In qua legis institutione milites patrie illius, servos suos et ancillas suas in eadem villa manentes eidem legi supposuerunt ut eadem pace gauderent, et ab illis et aliis omnibus ejusdem ville hominibus, exceptis clericis et militibus, dominus comes in eorum morte mortuas manus posset accipere[2]. Ces paroles de Gislebert attestent clairement l’impor-

  1. Il convient de rappeler ici que la paix urbaine est octroyée par le seigneur. Il arrive parfois qu’au lieu d’une paix perpétuelle il ne donne à la ville qu’une paix temporaire. Voir par exemple la charte de Ratisbonne. Gengler, Stadtrechte, p. 373. Mais c’est évidemment à la demande des habitants que les seigneurs ont doté les villes du droit de paix. Quand ils s’y sont refusés, celles-ci ont eu recours à la révolte. L’exemple de Cambrai est, à cet égard, caractéristique. L’évêque ne voulant pas céder aux instances des bourgeois (Gesta episcop. Camerac. Mon. Germ. Hist. Script., VII, p. 516), ceux-ci se soulèvent et établissent la commune. Sur l’identité de cette commune et de la paix, voyez Mon. Germ. Hist. Leg., II, p. 257 : communia quam pacem nominant. La commune de Laon n’a été fondée, elle aussi, que pour introduire le droit de paix dans la ville. Guibert de Nogent, De vita sua. Rec. des hist. de France, XII, p. 249 et suiv. Voyez encore un texte intéressant pour Nivelles dans Willems, Brabantsche Yeesten, I, p. 616. En Flandre, les constitutions urbaines se sont développées pacifiquement parce que, dès le début, les comtes ont établi la paix dans les villes. Voir Galbert de Bruges, op. cit., § 1. Dans le sens technique du mot, il ne peut être question de paix urbaine que quand le talion, les châtiments corporels, l’arsin, etc., remplacent l’amende de 60 sous qui frappait primitivement l’infractio ville. Tardif, Monum. hist., p. 182. Leges Burchardi Wormat. (Walter, Corpus juris germanici, III, p. 778).
  2. Gislebert, Chron. Hanon., éd. in-8o, p. 78.