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suburbium où ils ont leur résidence[1]. D’ailleurs, dès que la paix urbaine apparaît, elle se présente à nous comme une paix étendue à toute la ville, et la théorie n’explique pas comment la pax mercatorum, de personnelle qu’elle est essentiellement, est devenue locale.

En réalité, il ne me paraît pas nécessaire, pour rendre compte de l’existence de la paix urbaine, de recourir à des institutions préexistantes ou à des abstractions juridiques. Étant donné l’état social et politique du moyen âge, elle est pour la ville une nécessité inéluctable, un besoin primordial.

Observons ces agglomérations de plus en plus nombreuses d’immigrants, qui se forment au cours du xie et du xiie siècle. Elles se composent d’hommes venus de partout, de gens de conditions très différentes, d’étrangers, d’advenae. Entre eux, le lien naturel de la famille fait défaut. De plus, vivant en dehors des vieux groupes domaniaux, ils se voient privés de la protection et de la sécurité que les serfs trouvent dans les cadres encore solides du grand domaine[2]. Pour se protéger mutuellement, pour ne pas former une collection d’individus juxtaposés les uns aux autres, sans cohésion et par là sans force, les immigrants ont recours à l’association, à la gilde, aux corporations de toute sorte. Mais ces groupements personnels ne suffisent pas. Nul n’est forcé d’en faire partie ; les clercs et les chevaliers en sont exclus. D’ailleurs, si les corporations exercent sur leurs membres un certain pouvoir disciplinaire, elles se trouvent impuissantes à punir les crimes et les délits[3]. Or, dans cette société du moyen âge, par suite de la brutalité des instincts et de la violence des tempéraments, crimes et délits sont continuels[4]. Dans les villes, ils sont plus abondants encore que dans le plat pays. La ville est en effet un entrepôt permanent, un emporium. Elle renferme de l’argent, des matières précieuses, des marchandises de toute sorte, proies bien faites pour tenter les pillards des environs[5]. Contre leurs coups de

  1. Ceci n’implique pas contradiction avec le fait que nous avons signalé plus haut, que le marchand reste placé dans la ville sous la juridiction publique.
  2. Voyez plus haut, p. 81.
  3. Voyez les statuts des gildes de Saint-Omer (Gross, op. cit., p. 291) et de Valenciennes (Wauters, op. cit., p. 251 et suiv.).
  4. À Saint-Omer, on va jusqu’à défendre aux membres de la gilde, par crainte des rixes, de venir aux potaciones avec des chaussures ferrées. Cette précaution n’empêchait pas les batailles. Le même texte prévoit le cas d’un confrère frappé pugno, vel pane, vel lapide.
  5. À Ypres, dès que les marchands venus pour la foire apprennent le meurtre de Charles le Bon, ils s’enfuient sans retard. Galbert de Bruges, op. cit., § 16.