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D’où provient cette paix spéciale à la ville ? La question, on le sait, est singulièrement controversée. On a abandonné aujourd’hui, et avec raison, l’idée qui faisait remonter la paix urbaine aux paix de Dieu du xie siècle[1]. Il est facile de voir, en effet, que, tandis que la paix de Dieu s’étend à tout un pays, la paix de la ville est locale. Les textes la distinguent très clairement de la première. À Staveren, la communis pax civitatis est opposée à la pax quam omnis possidet Frisia[2]. À Liège, la paix générale établie dans l’évêché par Henri de Verdun ne s’étend pas à la cité[3]. Il est vrai que la paix de la ville se présente souvent à nous avec une teinte ecclésiastique très accusée. Il est vrai encore que, dans certains cas, elle emprunte à la paix territoriale des stipulations plus ou moins nombreuses. Il est vrai, enfin, que les bourgeois se sont montrés favorables à l’établissement des paix de Dieu, parce que, plus que d’autres, ils avaient intérêt à voir l’ordre et la sécurité régner dans le plat pays[4]. Mais, quelque intéressants que soient ces faits, ils sont insuffisants pour nous permettre d’établir un lien de filiation entre la pax Dei et la pax civitatis. La première est l’œuvre de l’Église, la seconde est purement laïque. L’une a pour sanction l’excommunication, l’autre les châtiments corporels.

Plus que personne, M. Sohm a insisté sur ce caractère exclusivement laïque de la paix urbaine, dans laquelle il voit, comme on sait, une paix de marché identique elle-même à la paix du palais royal. Nous ne reviendrons pas sur les objections que l’on peut faire valoir contre cette théorie. Nous dirons quelques mots seulement de l’opinion de ceux qui, moins hardis que M. Sohm, considèrent la paix de la ville comme une transformation, comme une application locale de la paix personnelle dont jouissent les marchands[5]. Cette opinion exagère beaucoup, ce semble, l’importance d’un fait d’ailleurs parfaitement exact. La paix que les pouvoirs publics accordent aux marchands est une paix transitoire, intermittente. Elle ne les protège que pendant leurs voyages, quand ils se rendent aux foires et aux marchés. Nous ne voyons pas qu’elle les accompagne dans la ville, qu’elle continue à les protéger dans le

  1. Voyez Revue historique, LIII, p. 66, n. 2.
  2. Waitz, Urkunden, p. 44.
  3. Gilles d’Orval, Gesta episcop. Leod. Mon. Germ. Hist. Script., XXV, p. 94. De même, en Hainaut, la paix territoriale ne s’étend qu’aux localités in quibus forum non currit. Van Lokeren, Chartes de Saint-Pierre de Gand, I, p. 222.
  4. Gesta episcop. Camerac. Mon. Germ. Hist., VII, I. III, § 53.
  5. Waitz, Verfassungsgeschichte, VII, p. 379. Schrœder, Rolandssäulen, p. 35.