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ne correspond nullement à la valeur du sol ; il n’est que le signe auquel se reconnaît le domaine direct, la propriété éminente et théorique. Les cens postérieurs, au contraire, sont de nature économique[1]. Ils proviennent de conventions libres entre deux parties. Ils circulent de main en main, s’achètent, se vendent, se transmettent de toute manière. Ils sont par excellence les instruments de crédit de l’époque. En vendant un cens sur sa maison, le marchand se procure le capital liquide dont il a besoin pour ses affaires. En achetant, de ses bénéfices, un cens sur l’immeuble d’autrui, il s’assure un revenu proportionné à la somme dépensée ; il fait, comme on dirait aujourd’hui, un placement d’argent à intérêt. Comparée aux anciennes tenures féodales, la tenure suivant la consuetudo fori, la tenure en Weichbild, en Burgrecht, comme on dit en Allemagne, en bourgage, comme on dit en France[2], présente donc une originalité bien marquée. Placé dans des conditions économiques nouvelles, le sol urbain a fini par acquérir un droit nouveau approprié à sa nature.

La propriété libre, comme l’homme libre, ressortit nécessairement à la juridiction publique. Au xiiie siècle, il est de règle que les œuvres de loi relatives aux fonds de terre doivent s’effectuer devant l’échevinage[3]. Sans doute, les cours foncières des seigneurs ne disparaissent pas, mais, pour donner pleine valeur aux actes qui ont été passés devant elles, pour les rendre exécutoires, il faut les faire enregistrer par l’échevinage ou par le conseil. D’ailleurs, à mesure qu’on avance dans le moyen âge, on observe que les villes rachètent les cours foncières, toutes les vieilles juridictions spéciales. Tous les fonds urbains, quelle qu’ait été leur nature primitive, quel que soit leur propriétaire actuel, relèvent donc de plus en plus complètement du tribunal communal. Seules les terres de mainmorte, bâtiments conventuels, aîtres d’églises, maisons claustrales, lui échappent[4]. Mais partout on voit les bourgeois prendre des mesures pour empêcher l’extension de ces biens de mainmorte[5]. De très bonne heure on stipule qu’en cas d’achat

  1. Viollet, Histoire du droit français, I, p. 577.
  2. Monum. de l’hist. du tiers état, I, p. 227. À Beauvais, le cens dû pour les tenures urbaines s’appelle la coutume (urbaine), expression tout à fait analogue à Weichbild. Labande, Beauvais, p. 168.
  3. « Li maires et li esquevin ont la connoissanche et le jugement de tous debas d’yretages et de possessions de le chité et vile, excepté che qui est tenus de fief, de quoy li jugemenz et le connoissanche n’en appartient point à aus. » Monum. de l’hist. du tiers état, I, p. 157.
  4. Cartulaire de Saint-Martin d’Ypres, p. 136. — Monum. de l’hist. du tiers état, I, p. 252. — Waitz, Urkunden, p. 40.
  5. Voyez, par exemple, Monum. de l’hist. du tiers état, I, p. 197. — Zeumer, Die deutschen Städtesteuern, p. 80 et suiv.