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chée pour elle-même par les bourgeois. Gardons-nous d’introduire en cette matière des idées modernes. Ce n’est pas au nom de la dignité humaine qu’elle a été revendiquée. Nous avons vu, à Arras, les marchands se faire passer pour serfs de Saint-Vaast afin de jouir de l’exemption des droits de tonlieu[1]. La liberté pour les habitants de la ville n’est pas un but, mais une conséquence. Et c’est seulement parce que la vie marchande ne peut exister et se développer dans la servitude qu’ils ont voulu être libres.

Avec la liberté personnelle va de pair, dans la ville, la liberté du sol. La terre est, en effet, la base du crédit, le capital par excellence ; en elle consiste encore la plus grande partie de la fortune. Dans une agglomération de marchands, elle ne peut donc rester immobile, engourdie en quelque sorte, surchargée qu’elle est de ces droits féodaux si lourds et si variés : droits de mutation, lods et ventes, dîmes, gaule, fouage, etc., qui, en la tenant dans la dépendance étroite du sire du tréfonds, l’empêchent d’entrer dans le commerce et d’acquérir une valeur marchande. Il en est de même des restrictions que la coutume, en faveur de la famille, apporte à la libre disposition des immeubles et particulièrement du retrait lignager. À ces impedimenta ajoutez enfin ceux qui proviennent de l’extrême complexité des régimes auxquels sont soumis les fonds urbains, les usages locaux, les diverses justices, les prestations de toute nature qui pèsent sur eux d’un poids plus ou moins lourd, suivant qu’ils appartiennent à telle seigneurie, à telle immunité, à telle cour domaniale.

Tout cela doit faire place à un régime nouveau, et, ici encore, le droit finira par s’adapter aux conditions du milieu urbain. Aussi nécessairement qu’à la fin de la période mérovingienne le grand domaine, malgré les efforts de l’État, absorbe la petite propriété, aussi nécessairement, en ville, la terre s’arrache aux liens du droit domanial ou à l’empire de la vieille coutume. Elle s’en arrache, non seulement parce qu’elle devient un objet de vente et d’achat, mais encore parce qu’elle change de nature. Le sol de la ville, en effet, n’est pas, comme dans le plat pays, un sol cultivé ou cultivable, c’est un terrain bâti ou à bâtir[2]. Or, il est inévitable que le propriétaire d’une maison acquière, à la longue, la propriété du fonds sur lequel elle est construite. Partout, la vieille terre domaniale se transforme en propriété censale, en alleu censal[3]. Ainsi, la tenure urbaine devient une

  1. Voyez plus haut, p. 81, n. 2.
  2. Beaumanoir, éd. Beugnot, I, p. 350. Cf. Heusler, Institutionen des deutschen Privatrechts, I, p. 39, n.
  3. À Constance, les tenures urbaines portent le nom de censuale allodium, voyez Gothein, op. cit., I, p. 161. Cf. Rotulus d’Andernach, éd. Hœniger,