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les églises gauloises semblent n’avoir connu aucune règle bien précise ; si la Vulgate, œuvre de saint Jérôme, est généralement citée par les auteurs de cette époque pour l’Ancien Testament, pour le Nouveau ils restent fidèles aux versions plus anciennes, qui, à vrai dire, ne différaient guère de la plus récente. Aussi l’histoire du texte saint dans notre pays jusqu’au viiie siècle reste-t-elle, en somme, peu intéressante, et les grandes recensions qui marqueront le règne de Charlemagne seront faites sous l’influence de traditions étrangères. Celle de Théodulphe, évêque d’Orléans, aura pour source principale les Bibles espagnoles ; celle d’Alcuin, les Bibles irlandaises et anglo-saxonnes. M. Berger a, par suite, été conduit à étudier les textes bibliques originaires tant de la péninsule hispanique que de l’Irlande, textes qui constituent deux familles très bien caractérisées. Les textes espagnols anciens, qui comprennent la Bible entière, se distinguent par une division particulière, une capitulatio tout à fait unique ; on y trouve, en outre, des leçons souvent bizarres que les copistes plus récents n’ont point reproduites, enfin l’exécution de ces manuscrits est tout à fait curieuse et caractéristique[1]. M. Berger estime que cette recension espagnole pourrait bien être l’œuvre d’un certain Peregrinus, inconnu d’ailleurs, auquel on doit la correction des œuvres de Priscillien ; le nom de Peregrinus se retrouve en effet dans plusieurs copies des textes saints exécutées dans la péninsule.

En Irlande, la Vulgate eut plus longtemps qu’en Gaule à lutter contre les anciennes versions latines ; le clergé de ce pays avait l’esprit fort indépendant et était fort attaché à ses traditions liturgiques, et il a fallu plus de deux siècles (du vie au viiie) pour le déterminer à adopter le texte de saint Jérôme, apporté du continent par les missionnaires du saint-siège. Les manuscrits exécutés en Irlande et en Angleterre durant ces deux siècles, manuscrits où les deux versions se confondent peu à peu, comptent parmi les plus beaux monuments de l’art calligraphique au moyen âge ; la plupart, il est vrai, sauf quelques exceptions telles que le célèbre Codex Amiatinus, ne renferment que le texte des Évangiles.

Ce texte, plus ou moins mêlé, est un peu plus tard apporté sur le continent par les missionnaires irlandais, qui viennent évangéliser les pays rhénans, l’ancienne Rhétie et la Germanie occidentale ; à Saint-Gall, à Echternach, des scribes écrivent en caractères irlandais

  1. M. Berger croit que le célèbre Pentateuque de Tours pourrait bien être espagnol ; l’hypothèse, présentée d’ailleurs avec beaucoup de réserves, nous paraît peu admissible. Les peintures du Pentateuque doivent dériver d’un original antique dont la provenance est impossible à déterminer aujourd’hui.