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mettre ce système : les chefs de la gilde s’appellent, non jurati, mais decani[1].

Quand bien même d’ailleurs on persisterait à regarder la commune comme une Schutzgilde, il resterait encore à démontrer que la commune a produit les constitutions urbaines[2]. Sans doute, l’association jurée de la bourgeoisie a été un facteur considérable de la formation des villes. Et l’on peut dire que, si en France on lui a souvent attribué une importance excessive, en Allemagne, au contraire, on ne l’a pas, en général, appréciée à sa juste valeur[3]. C’est elle qui a achevé la ville : elle a réuni en un seul corps les divers groupes dont se compose la population, elle a étendu à tous les habitants la même condition juridique et les a placés sous le même droit. Mais ce n’est pas elle qui peut expliquer la naissance de la coutume urbaine, la compétence de la juridiction municipale et les privilèges de la ville[4]. Ceux-ci sont antérieurs à la commune et, par conséquent, indépendants d’elle[5]. Il est vrai qu’en France et dans les Pays-Bas la com-

  1. Cf. par exemple la charte de Saint-Omer (Giry, Histoire de la ville de Saint-Omer, p. 371) et les statuts de la hanse de la même ville (Ibid., p. 413). Quant aux bourgeois, ils s’appellent jurati, conjurati, homines pacis, et à Aire amici ; les membres de la gilde portent le nom de fratres, confratres, guldebroeders, confrères.
  2. On sait que M. Semichon voit aussi dans la commune la condition essentielle de la formation des villes. Mais pour lui « les communes du xiie siècle doivent leur origine aux associations de la paix et de la trêve de Dieu » (La Paix et la trêve de Dieu, 2e édit., t. II, p. 103). Il cherche donc, lui aussi, à rattacher à une institution préexistante les communes jurées, dans lesquelles il faut voir, je pense, un phénomène nouveau et non le développement d’une institution antérieure. Je ne mentionne d’ailleurs ici sa théorie que pour mémoire. Elle a été définitivement réfutée et il suffit de renvoyer ici à l’excellente argumentation de M. Luchaire (Les Communes françaises à l’époque des Capétiens directs, p. 39 et suiv., et Manuel des institutions françaises. Période des Capétiens directs, § 208). Il est vrai que le droit pénal des villes a emprunté parfois aux constitutions de paix un certain nombre de stipulations (voy. Huberti, Gottesfrieden und Landfrieden. Ansbach, 1892, p. 361 et suiv.). Mais il serait fort extraordinaire qu’il en eût été autrement, puisque le droit pénal dans les villes est essentiellement un droit de paix.
  3. À l’exception toutefois de M. Gierke, qui lui a consacré des pages excellentes (Das deutsche Genossenschaftsrecht, I, p. 312 et suiv.).
  4. Voy. von Below, Die Bedeutung der Gilden für die Entstehung der deutschen Stadtverfassung (Jahrbücher für Nationalœkonomie und Statistik, 1892, p. 66 et suiv.).
  5. C’est ce que M. Giry a démontré excellemment pour Rouen (Les Établissements de Rouen, I, p. 24 et suiv.). Il est d’ailleurs facile de constater que, quand une commune est supprimée, la bourgeoisie perd certaines prérogatives politiques, mais conserve ses privilèges essentiels, par exemple l’abolition du duel judiciaire, la citation en justice devant les seuls tribunaux de la ville, etc. Ni