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l’organisation domaniale : on ne voit pas qu’elle en soit sortie. Jusqu’à la fin du moyen âge, on constate que les familiae conservent leur existence indépendante de la commune urbaine[1]. Et les seigneurs, autant qu’il est en eux, s’efforcent de maintenir cette séparation. Il suffit de rappeler ici les interdictions fréquentes faites par eux aux bourgeoisies de recevoir leurs hommes dans les villes[2]. L’étude de la condition des terres laisse apparaître non moins nettement le contraste qui existe entre la familia et la bourgeoisie. Pendant des siècles, on distingue les tenures libres du droit urbain des tenures soumises aux prestations et aux redevances du droit domanial. Comment admettre d’ailleurs que le Hofrecht épiscopal, né au milieu d’une civilisation purement agricole, ait pu s’accommoder des conditions toutes nouvelles de la vie urbaine, essentiellement industrielle et commerciale ? Nitzsch, il est vrai, cherche à l’expliquer. Il s’efforce, en recourant aux hypothèses les plus ingénieuses et aux combinaisons les plus subtiles, de montrer comment l’organisme domanial s’est transformé en organisme urbain. Mais les données des sources ne se prêtent ni à ses combinaisons ni à ses hypothèses. C’est sans doute une des plus rares qualités historiques que le sens de l’évolution, mais encore n’en faut-il pas abuser. Il est, dans la vie des peuples, des époques où la marche de la civilisation semble se hâter sous l’action d’idées et de forces nouvelles et où, impatients, dirait-on, d’arriver au but entrevu, incapables d’attendre que se soient transformées les institutions du passé, les hommes en créent d’autres qui les remplacent. C’est une crise comme celle-là qu’a provoquée, ce semble, en Europe, à la fin du xie siècle, la renaissance du commerce et de l’industrie[3].

Si, jusque dans les derniers temps, les théories d’Arnold et de Nitzsch ont surtout attiré l’attention des travailleurs, il existait cependant, à côté d’elles, d’autres systèmes, de nature fort différente,

  1. Voy. mon Histoire de la constitution de la ville de Dinant au moyen âge (Gand, 1889), p. 15. Dans la charte de Soissons en 1181 (Ordonnances des rois de France, XI, 219), on voit très clairement à côté des homines communionis l’existence de capitales homines. Le mariage n’est possible entre un bourgeois et une femme serve qu’avec l’autorisation du seigneur. Pour l’Allemagne, cf. von Below, art. cité, p. 208.
  2. Voy. von Below, art. cité, p. 210. Les ministeriales tout particulièrement ne peuvent être reçus dans la ville à titre de bourgeois. On constate cela non seulement en Allemagne, mais aussi en France. Voy. en 1202 l’interdiction de recevoir des vavassores dans la commune de Dourlens. (Ordonnances des rois de France, XI, 313.)
  3. M. Schmoller compare, pour sa rapidité et son intensité, la renaissance économique du xiie siècle à celle du xixe.