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rière, tandis que les autres, sous le nom de burgenses, se transforment en patriciat urbain et prennent en mains le gouvernement des villes qui, à partir du xiiie siècle, sont administrées par un conseil recruté parmi eux.

On voit qu’il est impossible d’être plus complètement en contradiction que ne le sont Nitzsch et Arnold. Tandis que celui-ci prend son point de départ dans la liberté et le droit public, celui-là, au contraire, fait, par un processus très lent et à la suite d’une foule de transformations sociales et politiques, sortir de la non-liberté originaire les bourgeoisies libres et l’autonomie municipale. Ici, tout s’explique par le Staatsrecht, là tout se trouve en germe dans le Hofrecht.

C’est autour d’Arnold et de Heusler d’une part, de Nitzsch d’autre part, que jusque dans les derniers temps les travailleurs se sont groupés en Allemagne en deux écoles distinctes, on pourrait presque dire en deux partis. Pendant longtemps, les autres théories ont été négligées en faveur de celles dont je viens d’essayer de dégager les lignes principales. Mais, à mesure que les recherches de détail devenaient plus nombreuses[1], que l’on pénétrait plus avant au cœur du sujet, que de nouveaux textes étaient publiés et qu’au lieu de se borner à l’étude des villes épiscopales on abordait celle des grandes villes marchandes comme Lübeck ou celle des villes neuves comme Fribourg-en-Brisgau, on voyait de plus en plus clairement apparaître des objections aux doctrines en vogue. On peut dire aujourd’hui qu’elles ont fait leur temps, et qu’après avoir largement contribué à l’avancement de la science elles sont devenues insuffisantes.

En opposition à la théorie d’Arnold, on a fait observer que l’immunité et les privilèges ottoniens n’ont pas joué, dans la formation des constitutions urbaines, le rôle qu’elle leur attribue. L’immunité n’a rien de commun avec la ville : elle s’étend, non pas spécialement à la ville, mais à tous les domaines d’une église. Quant aux privilèges ottoniens, s’ils accordent aux évêques les droits régaliens, ils n’ont cependant pas modifié essentiellement la condition des populations urbaines. En somme, leur seul résultat a été de substituer au fonctionnaire royal un seigneur comme organe de la juridiction publique. Et si ce fait a la plus grande importance au point de vue

  1. On peut comparer avec le livre d’Arnold, pour se faire une idée exacte des progrès de la science depuis quarante ans, le livre récent de C. Koehne (Der Ursprung der Stadtverfassung in Worms, Speier und Mainz. Breslau, 1890) qui étudie spécialement la constitution des trois villes auxquelles Arnold s’est spécialement attaché. Sur cet ouvrage, voy. Revue historique, t. L, p. 153 et suiv.