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Tout le monde sait que les plus anciens essais d’explication du régime municipal au moyen âge datent du premier tiers de ce siècle[1]. Personne n’ignore non plus que c’est dans les municipes romains que l’on croyait alors devoir chercher les origines des constitutions urbaines, et il est inutile de rappeler que les travaux de cette époque n’ont guère conservé plus de valeur que les premières recherches sur la formation de la féodalité ou sur celle des États généraux. Le problème, d’ailleurs, il y a soixante ans, était insoluble. Du moyen âge, on ne connaissait encore, pour ainsi dire, que l’extérieur : on n’en avait pas pénétré l’esprit. On en abordait l’étude avec des idées toutes faites et des préjugés ou des partis pris. Seule, la période franque avait été l’objet de travaux importants. Au delà, c’était nuit noire ou à peu près. Dans cette obscurité, on allait à tâtons, se laissant égarer par des lueurs trompeuses. C’est ce qui est arrivé aux Romanistes. Trouvant dans les textes fort rares qu’ils avaient à leur disposition des mentions de consules, de curia, de senatus, de libertas romana, ils en ont conclu que le régime municipal romain s’était maintenu pendant le moyen âge. C’est l’erreur commune de Dubos et de Raynouard en France, de Moritz, de Kindlinger, de Bodman, de Gemeiner en Allemagne, que d’avoir, de l’analogie des textes, inféré l’analogie des institutions. Comme il fallait s’y attendre, les Germanistes ne tardèrent pas à réfuter une thèse appuyée par des arguments aussi faibles. Après l’apparition des livres de Hulmann, de Wilda, d’Arnold et de M. Hegel, la théorie de l’origine romaine des villes du moyen âge avait fait son temps. Pendant quelques années, on a cru devoir lui donner encore en passant quelques coups de pioche. Aujourd’hui, on ne la cite plus guère que pour mémoire[2].

    d’étudier dans son ensemble le mouvement communal. Tous les derniers travaux parus sur la question sont des monographies. Il est pourtant très important qu’en cette matière la synthèse ne perde pas ses droits. Le mouvement urbain, malgré des différences très grandes dans le détail, présente pourtant un caractère très remarquable d’unité. On risque de ne pas le comprendre si on se confine trop exclusivement dans des études d’histoire locale. En tout cas, la défiance que M. Luchaire (Les Communes françaises, p. 11) manifeste à l’égard des théories générales me paraît exagérée et dangereuse au point de vue de la méthode.

  1. On sait que Bréquigny a publié au siècle dernier, comme préface au tome XI du Recueil des ordonnances des rois de France, un travail de grande valeur sur les communes. Mais il n’aborde pas la question des origines et s’occupe surtout de déterminer la part qui revient aux rois dans l’émancipation des bourgeoisies. Le point de vue auquel il se place est purement politique.
  2. Tout récemment pourtant, M. Flach (ouvrage cité, p. 227 et suiv.) a repris la question en détail et montré une fois de plus l’inanité de cette théorie.