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mort. Qu’est-ce à dire, sinon que ce membre de phrase est le commentaire ajouté par l’auteur à son texte jugé obscur, l’approbation donnée par lui à l’explication de son officieux glossateur ?

Que plus tard Grégoire ait « jeté l’interdit sur son rapport au sujet de la Savoie, » ainsi que nous l’apprend Hippolyte Carnot[1], cela est fort possible. Mais qu’importe ? C’est tout au plus un regret, dont les âmes sensibles lui tiendront compte, mais qui ne peut empêcher son opinion régicide de s’être manifestée ouvertement au lendemain de la condamnation et, par déduction, implicitement la veille.

Dès lors, que faut-il penser de l’histoire de la lettre de laquelle auraient été retranchés les mots à mort ? Si elle est vraie (et nous n’avons pas le moyen de la contrôler), il ne nous paraît pas admissible qu’elle ait eu primitivement le sens que lui attribua Grégoire par la suite. Il ne nous paraît pas que les commissaires aient voulu autre chose que créer une équivoque dont ils pussent bénéficier, quelle que fût l’issue du procès. Condamner Louis XVI sans appel, après avoir pris soin de rappeler « les trahisons non interrompues de ce roi parjure, » cela ne pouvait avoir d’autre sens que de le condamner à mort. Seulement le mot fatal n’était pas prononcé, et c’était tout ce que désiraient les commissaires, qui s’inspiraient encore plus du voisinage de la patrie de Machiavel que de celui « du tyran piémontais. »

Une dernière observation.

Ni Jeanbon-Saint-André, ni Camus, ni Daunou ne disent qu’ils ont vu l’original de cette fameuse lettre. Et cependant Grégoire nous invite à l’aller voir aux Archives. M. Aulard l’y a vainement recherchée[2] ; nous ne l’avons pas trouvée non plus et nous ne pensons pas que personne ait été plus heureux. Ce que Camus et Daunou ont certifié l’un après l’autre, c’est simplement la conformité de leur copie avec le Procès-verbal de la Convention, d’une part, et le Bulletin en placard de la même assemblée, d’autre part. Or, le Procès-verbal n’est qu’un résumé, d’ailleurs fautif et erroné, nous l’avons prouvé ailleurs[3], et le Bulletin est, avant tout, un instrument de propagande révolutionnaire[4] dont la valeur historique reste à déterminer.

Résumons-nous et concluons.

Nous n’avons pas la lettre originale où les commissaires expri-

  1. Voir la note 1 de la page 322.
  2. Recueil… Salut public, t. I, p. 463, note 1.
  3. Archives historiques, t. I, p. 455.
  4. Aulard, Recueil… Salut public, Introduction, p. viii.