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La censure n’ayant pas autorisé la publication intégrale de cette lettre, Grégoire en écrivit une autre, quatre jours plus tard, au duc de Richelieu, pour se plaindre du procédé. Nous ne résistons pas à l’envie de la reproduire aussi, non qu’elle contribue à éclaircir la question, mais parce qu’elle nous offre, en passant, l’occasion de donner le plus parfait portrait moral de son auteur :

Monsieur le duc, je n’ai jamais sollicité de grâce sous aucun gouvernement, et je serai fidèle à la règle que je me suis prescrite à cet égard, mais j’invoque votre justice.

Un M. Dubouchage a inséré dans les feuilles publiques sous forme de lettre un libelle contre moi ; j’ai envoyé à tous les journaux une réponse dont copie authentique est cy-jointe, et de cette réponse mutilée par la censure, quelques lignes seulement ont obtenu place dans quelques journaux. Est-ce ainsi que se réalise la promesse faite à la tribune nationale par le ministre actuel de l’intérieur, que la censure protégerait les personnes et les réputations ?

Le secret des lettres paraît être protégé avec la même délicatesse, car tout récemment encore, par la petite poste de Paris, il m’est arrivé, indignement décachetée et découpée, une lettre de Lauzanne de mon estimable ami M. de la Harpe, que sûrement vous connaissez[1]. Je dois me féliciter qu’on en sache le contenu, mais cette violation n’en est pas moins un attentat punissable.

L’histoire n’offre peut-être pas un système de persécution et de diffamation pareil à celui qui est dirigé contre moi depuis 1814[2].

  1. Il s’agit sans doute de l’ancien précepteur de l’empereur de Russie Alexandre Ier.
  2. Voici un petit document daté précisément de 1814 et qui à la fois atteste les méfiances de l’autorité vis-à-vis de Grégoire et contient de curieux renseignements sur son existence pendant cette période : « À M. Palluy, chef de la 1re division de la direction générale de la police. Paris, le 11 décembre 1814. J’ai reçu, Monsieur, la note que vous m’avez adressée le 6 de ce mois portant avis qu’il se tenait chez les ex-sénateurs Garat et Grégoire des conciliabules dont l’objet ne serait rien moins qu’étranger à la politique. Je me suis empressé de faire prendre à cet égard les renseignements les plus positifs dont voici le résultat. L’avis donné au sujet de ces conciliabules n’est pas fondé, car il y a deux mois que M. Garat est avec sa famille dans le pays des Basques (Basses-Pyrénées), lieu de sa naissance, et il ne reste dans sa maison, rue Notre-Dame-des-Champs, no  2, que le portier ; et M. Grégoire, qui demeure rue Pot-de-Fer, no  22, ne reçoit personne. Cet ex-sénateur tient maison avec une Mme Dubois, ancienne chanteuse à l’Opéra, dont le mari, nommé La Tour, et qui avait été danseur, est mort il y a environ deux ans. Cette femme est si âgée qu’on ne peut soupçonner aucun commerce scandaleux entre elle et M. l’abbé Grégoire, mais elle le gouverne et dirige tout dans la maison. Il l’appelle la sainte femme. Tout le monde est ordinairement couché à huit heures du soir. Cependant il y a quelquefois le dimanche un thé très modique qui se prolonge jusqu’à neuf ou