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Plus loin, il compare La Noue à Xénophon, puis c’est de Mécène qu’il parle, et il emploie deux pages à une pénible imitation de Sénèque. Quel contraste, et quel charme aussi, au sortir de cette lourde préface, d’entendre ces phrases mâles et franches du Ier Discours, si dignes d’un disciple de Calvin : « Ceci doit estre ferme et arresté en l’esprit de chacun, que Dieu est auteur des gouvernemens politiques, etc. » !

Du Fresne nous a laissé trois gros volumes[1] in-folio, qui nous permettent de juger de son mérite littéraire. On dira que ce sont de simples lettres, mais des lettres officielles, souvent écrites au Roi, et que par conséquent l’auteur a dû composer avec soin. Elles sont loin d’être sans valeur. Du Fresne s’y révèle politique fort avisé, il y trace d’intéressants tableaux de l’Europe et surtout de l’Italie, mais j’avoue les avoir lues de fort près sans y trouver des qualités de style proprement dites, rien qui trahisse l’écrivain. J’y découvrirais plutôt de l’enflure, et cet abus de l’antiquité que j’ai déjà signalé[2] : « Les mutations des Grisons, dit-il lourdement, sont si fréquentes et si estranges qu’elles seraient plus capables de faire désespérer Aristote que ne firent jamais celles de l’Euripe tant célébré ; le pis est qu’elles nous importent et à tous leurs alliez, et si sont en danger de s’incancériser dangereusement par la fureur des petits cantons, s’il n’y est promptement pourveu par S. M. » Comme La Noue aurait laissé là de bon cœur Aristote et l’Euripe, quelle vie il aurait donnée à ces petits cantons, lui qui faisait si joliment « frétiller » les étrangers aux portes de la France ! C’est chez Du Fresne, — dans le Du Fresne authentique et incontestable, — ce n’est pas dans les lettres de La Noue qu’il faut chercher « les longues périodes, coupées d’incidentes, la tournure et les expressions archaïques[3]. »

  1. Lettres et ambassade (sic) de M. Ph. Canaye, sr du Fresne,… tantôt en deux tomes in-fol. (Paris, 1635, le second contenant un récit du procès de Biron par La Guesle, avec pagination spéciale), tantôt en trois (le troisième est de 1636 ; il est consacré au différend de Paul V avec Venise). Ce recueil s’ouvre par une lettre du 18 septembre 1601, et se ferme le 21 septembre 1607.
  2. T. III, p. 707. — Comp. dans une lettre à Montmorency (Bibl. nat., mss., f. fr. 3562, fol. 38) : « Nous n’avons tous deux autre Cynosure que les commandements du Roy. » Trois autres lettres de lui au 3587, fol. 21, 64 et 68.
  3. J’en multiplierais les preuves, si je ne craignais de fatiguer le lecteur. Qu’il suffise de citer cette lettre au roi, du 4 novembre 1601 : « Par mes précédentes du 19 octobre, j’ay donné advis à V. M., comme n’ayant pu estre esclairci au vray de l’intention des princes de la Mirande, j’avois résolu avec M. de Villiers d’y envoyer un homme d’entendement qui pût accompagner vos lettres de ce qu’il jugeroit à l’œil estre expédient ; afin donc que V. M. voye tout ce qu’il m’a rapporté, je lui envoyé sa relation avec les responses desd. princes, par lesquelles V. M. jugera le peu de désir qu’ils ont d’entrer en affaire