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ses travaux, sa Bibliotheca selecta, sa Bibliotheca theologica. — Il paraît que, dans une lettre antérieure, le P. Gonteri avait conseillé à Du Fresne d’écrire un ouvrage pour encourager ses anciens coreligionnaires à se convertir, car il répond, immédiatement après avoir parlé des travaux que Possevin prépare : « Quant à escrire, Monsieur, c’est une chose à laquelle je ne me sens aucunement disposé pour le présent ; puisqu’il plaist à Dieu que je sois encore occupé en la vocation de la vie active, je désire plustost parler à ma patrie par mes actions et par ma vie et mon exemple que par escrits, qui n’appartiennent proprement qu’à ceux qui meliorem partem elegerunt. » Il ajoute qu’il pourra peut-être, lui aussi, écrire un jour, « s’il plaist à Dieu me donner le loisir. » Pour ne pas parler ici des Discours, s’il avait fait autre chose que les publier, il faudrait vraiment que Du Fresne eût été le plus discret des auteurs et de tous les hommes le moins désireux de gloire.

Les contemporains n’ont jamais hésité à attribuer à La Noue l’œuvre qui porte son nom, et ils en louent le style (les catholiques sont sur ce point d’accord avec les protestants) autant que les idées, sans jamais laisser entendre que ce style pourrait bien ne pas être celui de La Noue[1]. Que nous dira, de son côté, le biographe de Du Fresne[2] ? C’est un Minime, le P. Robert Regnault, qui n’aime guère les calvinistes. Il nous apprend que, lorsqu’il était à Lausanne (c’est-à-dire au temps des Discours), Du Fresne a publié une traduction de l’Organe d’Aristote. Il paraît qu’il avait aussi préparé une Physique et les Livres de l’Âme. Mais Regnault ne rappelle même pas qu’il se chargea d’éditer La Noue.

Chacune de ces preuves, prise isolément, n’est peut-être pas suffisante à ruiner l’hypothèse de M. d’Aussy. Il n’en reste pas moins que, par son unanimité, ce silence des contemporains et du principal intéressé a quelque chose de surprenant. Mais voyons maintenant ce que valait Du Fresne comme écrivain. Voici comment s’ouvre l’Epistre au roy de Navarre qu’il a placée en tête des Discours de La Noue :

Il avient souvent que ce que nous pensions nous devoir estre fort dommageable nous tourne à grande commodité : ce qu’ayant expérimenté Chion (seigneur de qualité entre les Grecs de son temps), par une sienne lettre, qui se trouve encore aujourd’huy, il remercie les vents contraires, etc.

Reconnaît-on là le style des Discours, et ce tact parfait, si rare au xvie siècle, avec lequel La Noue touche à l’antiquité sans s’y perdre ?

  1. Voy. ces témoignages dans mon La Noue, p. 201-206.
  2. Cette Vie, de 14 p., est en tête de ses Lettres et amb.