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der l’autheur de le donner au public. » Il semble presque affirmer qu’il n’y a pas une ligne de lui dans le livre, lorsqu’il dit : « Et n’osant outrepasser la tresestroite défense que me fait mon insuffisance de vous offrir rien du mien… »

Admettons qu’il n’y ait là que modestie de bon goût et stratagème d’éditeur. Faut-il croire que c’est aussi pour nous donner le change qu’il a mis au bas du Xe Discours cette note : Ce discours est imparfait ? Note d’autant plus curieuse que le chapitre ne nous paraît pas du tout à nous inachevé. Même note au bas du XVIe, sans que nous y voyions beaucoup plus de raison, si ce n’est qu’il est plus court que les autres, pas plus cependant que le XVIIe. S’il a trouvé ces discours imparfaits, et s’il était dans l’usage de « remanier, » que ne s’est-il empressé de les « parfaire » ? Est-ce pour mieux nous faire accepter ce que M. d’Aussy appellerait la fable de sa fidélité ? Tels ces vers inachevés de l’Énéide, que les premiers éditeurs se firent scrupule d’élargir à leur juste mesure. Mais tout ne s’explique-t-il pas bien plus aisément si l’on accepte le récit de Canaye lui-même ? il a cru voir, soit à un détail d’écriture, soit à l’ordre des idées, qu’un discours était inachevé, et il l’a dit, ne pouvant s’adresser à La Noue, puisqu’il publiait l’ouvrage à son insu et contre son gré, et ne voulant y mettre, comme il dit, « rien du sien. »

D’ailleurs, à ce moment, son « Virgile, » à lui, était vivant. Mais, après la mort de La Noue, comment n’aurait-il jamais laissé échapper son secret, même en écrivant à des amis ? Ce serait vraiment trop de modestie. — Du Fresne était très lié avec Casaubon, surtout avant sa conversion. Même lorsqu’il fut devenu catholique et ambassadeur à Venise, il entretint avec lui une correspondance amicale. Nous avons les lettres des deux correspondants[1], nous avons des lettres de Casaubon, adressées à d’autres personnes, où il est question de Canaye. À toute ligne, dans ces lettres, il y aurait matière à une allusion aux Discours, si Du Fresne en était l’auteur. Les correspondants y traitent de questions littéraires ou politiques ; ils y entament des controverses religieuses. Casaubon écrit à Lect, le 1er janvier 1602, et il lui parle de ce qu’il appelle l’apostasie de Canaye. Lect, nous le savons, avait connu La Noue et Canaye lorsqu’ils étaient ensemble à Genève ou à Lausanne ; cependant Casaubon ne lui parle pas des Discours. Le 1er avril, c’est à Du Fresne qu’il écrit, après un long silence, il ne parle pas davantage du livre de La Noue ; il lui serait

  1. Voy. le Casaubon d’Almeloven (t. II, p. 649, 650, 651, 654, 655) et les Έφημερίδες de Russel (t. I, notes, p. 2, 71, et p. 152 et suiv., où il donne cinq lettres de Canaye).