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car déjà en 1888, à propos d’une lettre de La Noue publiée ici même[1], il écrivait : « Si elle [cette lettre] n’émane pas de l’illustre capitaine, un seul homme a pu l’écrire, Du Fresne-Canaye, l’éditeur et le correcteur des Discours politiques et militaires. » C’est donc chez M. d’Aussy un système d’attribuer à Philippe Du Fresne, tantôt comme auteur, tantôt comme correcteur, la responsabilité des écrits qui portent le nom de La Noue.

Je crois avoir déjà montré, — j’espère pouvoir établir encore, chemin faisant, dans cette étude même, — que la Lettre sur la conversion est sortie de la même main que les Discours. Pour ces derniers, M. d’Aussy ne nie pas que le fond en ait été fourni par le « monceau de papiers qui estoyent jettez pesle-mesle en un coin, » dans le « cabinet » de La Noue, mais il croit que Du Fresne, en éditant ces « brouilleries » à l’insu de La Noue, les a remaniées. Notez qu’il ne s’agit pas de simples changements de détail, mais d’une refonte générale, portant sur la tenue du style et la composition même des morceaux, puisqu’elle aurait eu pour effet d’en faire disparaître « les longues périodes, coupées d’incidentes, la tournure et les expressions archaïques, » de rendre la phrase « moderne, » d’y introduire la « souplesse, » la « vivacité, » l’« éclat, » enfin d’y imprimer « le cachet très sensible de la personnalité » de Philippe Du Fresne.

C’est tout La Noue écrivain qui s’en va, et, au point de vue littéraire, ce nom n’est plus qu’un pseudonyme. Or, sur quoi s’appuie cette conjecture ? Sur deux raisons : 1o Du Fresne était un « habile écrivain, » et la marque de sa personnalité se retrouve dans les Discours ; 2o les lettres authentiques de La Noue sont littérairement trop inférieures aux Discours, pour qu’on ne sente pas, dans ces derniers, la main d’un correcteur. — Je crois pouvoir établir au contraire que : 1o Du Fresne n’a pas remanié et ne pouvait remanier les Discours ; 2o la comparaison entre les lettres de La Noue et ses Discours ne fait que prouver l’absolue authenticité de ceux-ci.

Philippe Du Fresne n’a jamais dit ni laissé croire qu’il eût fait autre chose que d’éditer fidèlement La Noue. Dans sa dédicace au roi de Navarre, il raconte, il est vrai, que La Noue refusait de lui laisser voir ses Discours, sous prétexte que « ne ayant eu autre intention que de tromper le temps, il n’avoit pris nulle peine de les polir ni limer, » mais il ne dit pas que lui, Du Fresne, se soit chargé de ce soin. Il déclare au contraire que ce « butin » lui parut « précieux » et de « grand usage, » et qu’il fit ce qu’il put pour « persua-

  1. Rev. hist., mars-avril 1888, p. 311-323.