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« cela a été établi par l’usage ancien[1]. » On le voit, il ne s’agit ni de la reine ni du second couronnement. Les légistes de la papauté savaient bien concilier des intérêts opposés en apparence, comme ici ceux des sièges de Reims et de Sens.

Au commencement de juin, l’animosité des partis français était tout près de conduire à une guerre civile. Et cependant cette animosité ne se fondait sur aucun principe ; ce n’était qu’un beau prétexte si le parti anglo-champenois se montrait si jaloux de soutenir la dignité de la couronne française. Deux compétiteurs cherchaient à atteindre un seul et même but, le pouvoir suprême, qui, d’après sa nature, ne pouvait appartenir qu’à l’un d’eux. Le péril auquel Philippe-Auguste allait faire face exigeait de lui des qualités politiques supérieures. Ne considérant que ce qu’on a appelé longtemps après lui la raison d’Etat, il crut que l’ouverture des hostilités ne comportait plus l’existence de deux rois en même temps. Il enleva au vieux Louis VII le sceau de la chancellerie, « afin qu’il ne pût, à l’insu de son fils, décréter quoi que ce fût dans le royaume. »

Si l’on interprète rigoureusement le passage de Raoul de Dicet, qui contient ces mots[2], on trouvera une certaine contradiction entre la proposition principale et la proposition causale. Au cas que Louis VII ait transmis à son fils son droit et son pouvoir, il renonce par cela même à toute participation au gouvernement et ne peut avoir l’intention d’agir à l’insu de Philippe. Or, Raoul ne parle nulle part de la transmission du pouvoir. Il serait bien étonnant que cet auteur, si bien renseigné, eût mentionné un événement d’une telle importance dans une proposition accessoire qui semble rappeler un fait connu. La difficulté disparaît si nous rapportons le « quia ... transtulerat » au couronnement du 1er novembre qui, par la force des circonstances, transmit de fait le pouvoir à Philippe[3].

  1. J.-Low., II, 13382. Gesta, I, p. 246. Roger de Hoveden, II, p. 197. Inst., I, p. 146. Walker, p. 12.
  2. « Ludovicus rex Francorum, quia jus suum et potestatem in Philippum regem transtulerat, ne quid in regno statucret citra filii conscientiam, sigilli sui potestate privatus est. » II, 6, et la préface, II, p. XXXI. Raoul était lié d’amitié avec Gautier de Coutances, qui avait été ambassadeur en France. — Inst., I, p. 143.
  3. « Ludovicus... vir pius et religiosus, seculum nequam despexit regnumque suum quod ipse per 44 annos strenue gubernavit, Philippo filio suo honorifice tradidit. Ille autem postea, Deo inspirante, ad ordinem Cisterciensem apud abbatiam, quae Port dicitur, quara ipse fundavit, humiliter convolavit et eodem anno de corpore mortis féliciter migravit. » Chronica de Mailros, éd. J. Stevenson, p. 91. Le « honorifice tradidit » doit s’entendre de la même façon que le « transtulerat » de Raoul de Dicet. La lettre du pape dont nous faisons mention dans l’appendice IV indique qu’au mois de mai 1180 Louis VII était encore regardé comme roi en titre.