Page:Revue historique - 1893 - tome 53.djvu/286

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le second couronnement du jeune roi a été interprété diversement par les chroniqueurs. L’un en voit la cause dans le conseil des barons[1], l’autre dans l’influence du supérieur Bernard, « homme qui paraissait avoir le zèle de Dieu[2] » Ce Bernard, nommé de Bré, de Boschiac ou du Coudrai, issu d’une vieille famille du Limousin, prieur de Grandmont en 1161, supérieur des Bonshommes de Vincennes en 1168, possédait toute la confiance du roi. Quand on se rappelle l’usage des Capétiens qui se faisaient souvent couronner aux grandes fêtes religieuses de l’année[3], il semble superflu d’admettre que Philippe-Auguste ait eu besoin d’une exhortation particulière. Quelques mots de Gilbert éclaircissent la question ; il dit que pour faire honneur à sa femme, la nouvelle reine, il porta avec elle la couronne royale. Faut-il croire que des insinuations peu flatteuses pour la maison de Hainaut aient laissé quelques traces dans l’esprit du jeune roi, si imbu de la grandeur de la royauté, de sorte que, sans l’intervention de quelques barons et de Bernard, il aurait offensé Isabelle en ne renouvelant pas le couronnement et en diminuant ainsi l’éclat de la solennité ?

Parmi ceux qui protégeaient la jeune reine, nous trouvons Louis VII. Cela n’a rien d’étonnant ; il avait toujours désiré que son fils s’unît à une princesse flamande. Ses sympathies étaient pleinement partagées par son frère Robert, comte de Dreux, et ses neveux, fils de Robert, Robert et Henri[4].

Le 29 mai fut un jour néfaste pour le métropolitain de Reims. Le sacre s’étant fait par son rival de Sens, il adressa de vives réclamations au pape Alexandre III, quoique ses droits ne fussent point aussi évidents qu’il l’affirmait. Voici ce qu’en 1179 la cour de Rome avait fixé à ce sujet : « Nous arrêtons qu’il ne soit permis à personne, l’archevêque de Reims excepté, de sacrer le roi de France et de lui imposer la première couronne, comme

  1. Notice de Saint-Denis.
  2. Rigord. Sur Bernard, voir l'Hist. litt., XV, p. 137-140.
  3. Luchaire, Inst., I, p. 73.
  4. Cont. Aquic., a. 1180. Giraud de Barri, De princ. instr., III, 2, p. 228. Joh. Longus de Ipra, Mon. Germ., XXV, p. 814, ajoute à son récit qu’il a emprunté à Guillaume d’Andres et à la Continuatio : « Progenie patris assentiente, sed matris progenie pro totis viribus contradicente. » J’ai nommé dans le texte les personnes qui en 1184 empêchèrent le divorce projeté. Un autre fils de Robert, Philippe, évèque de Beauvais, n’était pas encore revenu d’Orient en 1180. D’Arbois, III, p. 107. Guillaume de Tyr, XXI, 30.