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exercées par les juges d’inquisition contre les hérétiques albigeois et leurs fauteurs. L’histoire de ce tribunal dans le midi de la France est mieux connue depuis quelques années, grâce à plusieurs travaux, tant en France qu’à l’étranger ; mais jusqu’ici on n’avait pas encore étudié dans notre pays d’une manière méthodique et complète le fonctionnement de ces tribunaux exceptionnels dont on ne parle guère, peut-être faute de les bien connaître. Combien de personnes, même dans le grand public lettré, ne connaissent en fait d’inquisition que celle d’Espagne, ignorent ou mettent en doute les cruautés exercées quelques siècles plus tôt en France même par de dignes prédécesseurs de Torquemada ! L’Histoire des tribunaux de l’inquisition en France de M. L. Tanon[1] sera donc bien accueillie ; l’auteur, qui a prouvé dans plusieurs autres travaux justement estimés sa connaissance approfondie de l’ancienne procédure française, s’est attaqué cette fois à un sujet difficile et peu abordable pour tout autre qu’un magistrat versé dans la science du droit.

L’ouvrage s’ouvre par un aperçu historique sur les origines de la secte. M. Tanon essaye d’expliquer comment la théorie cathare, si sévère et si ascétique, put être adoptée par un grand nombre de Français du Midi, en un temps où la société méridionale n’était rien moins que rigoriste. C’est que, si rigoureuse qu’elle parût, cette doctrine un peu flottante n’imposait pas ses pratiques austères à tous ses adhérents, mais seulement aux parfaits, en somme peu nombreux, et qu’elle apparaissait comme une protestation contre les théories autoritaires et le despotisme de la Rome pontificale. Ces doctrines, qui condamnaient le mariage, pouvaient passer pour antisociales, mais le christianisme primitif ne l’était guère moins, et comme lui le catharisme, s’il eût triomphé, eût dû se plier aux nécessités de la vie et aux besoins éternels de l’humanité. Quoi qu’il en soit, l’Église romaine, après quelques missions inutiles, voyant qu’elle ne pouvait inspirer aux princes du Midi l’horreur qu’elle-même ressentait pour ces dangereux hérétiques, se croit le droit de prêcher la croisade contre ces fils peu obéissants, et de là les effrayantes tragédies de Béziers, de Monségur, etc., honte éternelle pour la religion chrétienne qui se targue si généralement de longanimité et de douceur. Vingt ans de guerre et de désastres suffisent à peine pour abattre le Midi, et les nouveaux maîtres du pays ont grand’peine, durant les premiers temps, à le contenir sous leur joug. Mais, si saint Louis rêve un instant de ramener à lui les nouveaux sujets de sa couronne, l’Église poursuit un plan tout différent,

  1. Paris, Larose, 1893, vi-567 p. in-8o.