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ENTRETIEN AVEC LE DIABLE

de Jean de LAVILLE de MIRMONT


Il paraît difficile, vu le degré actuel de notre civilisation, de se représenter le Diable autrement que comme un monstre noir, aux yeux de braise, aux pieds fourchus, dissimulant des cornes de bouc sous un chapeau rouge et une queue velue dans un haut-de-chausses.

Pourtant, certaines peuplades superstitieuses du centre de l’Afrique qui, si l’on en croit les récits des missionnaires, le vénèrent presque autant que nous, lui attribuent la couleur blanche. Quant aux partisans de la secte de Sintos, au Japon, ils demeurent persuadés que ce personnage affecte la forme du renard, et, curieuse coïncidence, les insulaires des Maldives lui sacrifient des coqs et des poulets.

À la vérité, toutes ces opinions sont également fausses. Le Diable n’est qu’un pauvre homme, d’aspect insignifiant. Il ressemble à un professeur libre aussi bien qu’à un agent des ponts et chaussées. On lui voudrait même l’air plus digne, tout au moins plus adéquat aux tendances politiques de ces dernières générations.

La première fois que je le rencontrai, ce fut à Paris, comme de juste. Il buvait un café noir sur le zinc d’un bar du quai de la Tournelle, vers onze heures du soir. Nous étions l’un et l’autre un peu gris. Je me souviens néanmoins que le phonographe de l’établissement exécutait à ce moment précis « le réveil du nègre » sur le banjo. Le démon me proposa d’abord une partie de ce jeu de hasard, dérivé du zanzibar, et communément dénommé le « trou-du-cul » parce que l’on n’y compte que les as. Je refusai, sachant le drôle affiché dans plusieurs cercles et casinos de bains de mer. Il m’offrit alors très poliment de lui tenir compagnie sur le quai jusqu’au premier coup de minuit, instant où il reprend son service.

Nous fîmes quelques pas en silence. Puis, comme je devais m’y attendre, Il essaya d’exercer sur moi des séductions, dans le but de s’approprier à bon compte mon âme immortelle.

― Voulez-vous devenir invisible ? insinua-t-il à voix basse sur le ton que les Parisiens affectent d’habitude pour vendre des cartes transparentes aux Anglais sur le Parvis de Notre-Dame.

― Eh bien ! portez sous le bras droit le cœur d’une chauve-souris, celui d’une poule noire, ou, mieux encore, celui d’une grenouille de quinze mois. Mais il est plus efficace de voler un chat noir, d’acheter un pot neuf, un miroir, un briquet, une pierre d’agate, du charbon et de l’amadou…

Je n’étais pas d’humeur à me laisser réciter plus avant le Petit-Albert ou les Clavicules de Salomon, ouvrages désuets dont j’ai depuis longtemps abandonné la lecture.

― Il me semble, répliquai-je, qu’à notre époque de progrès sociaux et économiques, votre science retarde un peu. Mlle Irma (ne fût-elle point ma première maîtresse lorsqu’elle lisait l’avenir dans le marc de café non loin de la station du métropolitain Réaumur-Sébastopol ?) en connaissait tout autant que vous sur ce chapitre. Au moyen d’une simple table tournante