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L.-Fernandez NAVARRO. — L’ÉTAT ACTUEL

dans la Meseta quaternaire. Cette anomalie ne s’explique pas facilement si l’on n’admet pas un changement récent dans le tracé de la ligne des côtes[1]. En se basant sur la coexistence de l’Helix Gruveli aux Canaries et au Cap Blanc, il affirme que la séparation n’était pas réalisée au Quaternaire ancien, lequel fournit au moins une limite inférieure. La limite supérieure serait donnée par le Néolithique, qui n’existe pas aux Canaries et est bien connu sur le littoral saharien. Signalons dès maintenant l’exagération de cette dernière assertion, car, le Néolithique du Sahara étant de date beaucoup plus récente que celui de l’Europe d’après les dires des spécialistes, elle équivaudrait à reculer la possibilité de ce phénomène aux premières époques historiques, opinion qui est en contradiction absolue avec la profondeur du canal, la masse d’éruptions que représentent les Canaries, la structure de l’archipel et l’âge auquel remontent quelques-uns de ses matériaux éruptifs. L’absence du Néolithique aux Canaries, affirmation pour le moins très discutable aujourd’hui, pourrait seule nous prouver qu’elles n’étaient pas habitées à cette époque.

VI

Ayant terminé cette rapide énumération des données que les Sciences biologiques, la Géographie physique et la Géologie peuvent fournir pour la solution de notre problème, je vais essayer d’en résumer et d’en accorder les conclusions pour en faire ressortir l’état actuel de la question. Nous verrons ainsi si la contemporanéité de l’Atlantide et des premiers hommes est admissible, et dans quelle direction il faudra diriger nos recherches pour résoudre le problème, si par hasard il est susceptible d’une solution.

Dans le résumé historique que nous avons donné au commencement de cet article[2], on peut voir, malgré le petit nombre d’opinions citées, quelle confusion règne entre elles et comment chacun interprète à son goût et de son point de vue spécial les documents dont il dispose. Il faut beaucoup de peine pour se défendre de la tradition séductrice, et dans la majeure partie de ces études il ne paraît pas qu’on ait fait autre chose que de la justifier. Le travail même de Bory de Saint-Vincent, si documenté au point de vue scientifique, n’échappe pas à cette critique. Dans sa carte conjecturale, il a dessiné le lac de Tritonide et assigné une place au pays des Gorgonides (Cap Vert), à celui des Amazones, aux Fortunées (Canaries) avec leur Mont Atlas et leur jardin des Hespérides, à Purpuraria (Madère), Hespérie (Vigias) et au pays des Atlantes proprement dit (Açores). En somme, il a cherché une justification de toute la fable mythologique, dominé par l’idée que cette fable doit répondre point par point à une réalité historique ou protohistorique.

Il faut donc se défendre d’abord de la suggestion de la légende et ne pas chercher, ce que la plupart ont fait, à vérifier une existence avant d’avoir déduit cette existence même de raisonnements rigoureux appuyés sur des faits indubitables : autrement dit, de l’étude de la réalité tangible actuelle, s’élever à la connaissance de la réalité antérieure ; ne pas partir d’une réalité antérieure supposée pour y accommoder les faits actuels.

De la légende, et seulement comme moyen de vérification, nous ne prendrons que ce qu’elle nous dit librement, sans interprétations recherchées ou capricieuses. Ainsi, puisque les dialogues de Platon placent l’Atlantide directement en face des colonnes d’Hercule, ils ne peuvent se rapporter qu’à Madère ou aux Açores. Les Canaries étaient bien connues des Grecs, et s’il avait voulu y faire allusion il n’aurait pas manqué de signaler leur situation beaucoup plus méridionale.

En ce qui concerne les considérations d’ordre biologique, je note un fait bien significatif : c’est que les botanistes et les zoologistes n’arrivent pas exactement aux mêmes conclusions. D’après eux, on peut affirmer que les archipels atlantiques, l’archipel canarien surtout, ont été unis au continent africain et que leur séparation est de date géologique récente. Mais leurs données manquent de précision, surtout lorsqu’il s’agit de fixer le moment où les portions marginales du continent total furent transformées en îles. Nous pouvons encore moins leur demander de nous dire quelque chose sur le processus et le mécanisme de cet isolement.

La topographie sous-marine de l’océan paraît jeter quelque lumière nouvelle sur les relations entre les diverses îles atlantiques. Qu’on admette ou non l’existence d’un géosynclinal en voie d’élévation, il est certain que les renseignements topographiques accusent pour les Açores une origine distincte de celle des autres archipels. Celui-ci, placé sur la ligne médiane des hauts-fonds, semble véritablement et originairement atlantique, tandis que les autres sont en relation avec le continent européen (Madère) ou africain (Salvajes, Canaries, Cap Vert). Entre les uns et

  1. R. Chudeau : Note sur la géologie de la Mauritanie. Bull. Soc. géol. de France, 4e sér., t. XI (1911)
  2. Voir la première partie, p. 425 et suiv.