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L.-Fernandez NAVARRO. — L’ÉTAT ACTUEL

fait d’avoir dragué un petit fragment de lave à 900 kilomètres au nord des Açores, un éminent géologue prétend déduire que cette terre était émergée et couverte de laves aujourd’hui ensevelies à 3 000 mètres au-dessous de la surface de la mer, et il ajoute : « Comme la surface des roches a conservé ses aspérités et sa rugosité, les arêtes vives des courants de laves très récents, il est nécessaire que la submersion ait suivi de très près l’émission des laves et qu’elle ait été brusque. Sans cela, l’érosion marine et atmosphérique aurait nivelé les inégalités et aplani toute la surface. » Si nous nous en tenions à ces paroles, les pénéplaines qui sont émergées depuis les âges géologiques les plus anciens devraient être des plaines idéales, et les Alpes mêmes, exposées depuis le Tertiaire à l’érosion sub-aérienne, n’auraient pu conserver leur élévation et leurs aspérités actuelles.

V

Dans l’énumération des données qui doivent précéder nos conclusions sur le problème de l’Atlantide, nous allons maintenant faire entrer en ligne de compte les documents purement géologiques, qui, en définitive, sont ceux qui permettent surtout de résoudre la question.

C’est un fait démontré avec une entière certitude par la Géologie que l’emplacement actuel de l’Atlantique était occupé aux époques antérieures par des terres qui réunissaient l’Ancien au Nouveau Monde. Dans les âges les plus reculés, l’Afrique formait avec le Brésil une bande étendue de terres équatoriales, tandis qu’au Nord, entourant le pôle, une autre bande parallèle comprenait les terres canadiennes, le Groenland, les pays scandinaves, la Finlande, et peut-être la Sibérie européenne et asiatique. Entre ces deux masses continentales, une Méditerranée, dont ce n’est pas le moment de retracer les vicissitudes historiques, a étendu le ruban de ses ondes jusqu’à une époque relativement moderne.

La rupture de ces deux continents par disparition d’un segment central permit une libre communication entre les eaux polaires des deux hémisphères et donna lieu à la formation de l’Atlantique. Mais celui-ci n’est pas né en une fois et par un processus rapide, comme les non-géologues se plaisent à le supposer. En ce qui concerne l’Atlantique méridional, il semble que son ouverture définitive date de la fin de l’ère secondaire. L’Atlantique nord, le seul qui nous intéresse pour le moment, est sans doute plus moderne. Peut-être la fragmentation de ses terres a-t-elle commencé déjà aux temps secondaires, mais jusqu’à l’ère tertiaire nous ne pouvons reconnaître les traces d’une communication entre les eaux arctiques et méditerranéennes.

Ce phénomène se reconnaît à ce que la faune de la Méditerranée, de caractère équatorial, se charge brusquement de types propres aux mers froides, dont il faut chercher les ancêtres dans les eaux de l’océan Arctique. Ce fait s’est produit par deux fois durant le Tertiaire : une fois au Miocène et une autre fois au Pliocène. Nous devons donc placer dans les derniers temps du Néogène l’ouverture définitive de l’Atlantique septentrional. Avec elle coïncidèrent le soulèvement de l’isthme de Panama, l’ouverture du détroit de Gibraltar et l’établissement du courant du Golfe avec son régime actuel, tous faits dont il n’est pas nécessaire de souligner la transcendance géographique.

Personne ne prétendra chercher dans la disparition de ce continent atlantique une base à la légende platonienne. Ni son progrès bien gradué, ni sa date lointaine ne le permettent. Une humanité non encore née n’aurait pu conserver la tradition de cet événement. C’est vers des phénomènes de moindre amplitude, par suite plus susceptibles d’un caractère catastrophique (quelque paradoxal que cela paraisse), et surtout d’un âge plus récent, que nous devons diriger nos recherches. Voyons ce que la Science géologique peut aujourd’hui nous dire à ce point de vue.

Macpherson, étudiant la géologie de la province de Cadix, a attiré l’attention sur l’existence dans cette région de dépôts diluviaux venus du Sud, ce qui démontre une plus grande extension du territoire vers l’Atlantique. Le même géologue a signalé au sud de la Galice et au nord du Portugal des formations diluviales très puissantes, qui indiquent l’existence de grands fleuves dont les eaux venaient de très loin vers le NW. C’est un fait bien connu que les vallées du Tage et du Duero se prolongent en pleine mer, de même que les embouchures des fleuves de Galice représentent des vallées fluviales ensevelies à une époque peu ancienne. Au sud du Portugal, il existe des preuves nombreuses d’un affaissement des côtes ; dans un travail récent, Pereira de Souza en a signalé à Lagos, Olhao, Villa Real de Santo Antonio et en d’autres points. Enfin, Choffat et les géologues portugais ont pu affirmer que les petites îles Berlengas et Farilhoes, situées en face du cap Carvoeiro, ne sont pas autre chose que les restes de terrains cristallins qui, à une certaine époque, s’étendaient beaucoup plus à l’Occident. Tous ces faits