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DU PROBLÈME DE L’ATLANTIDE

Monde, elles ne nous autorisent aucunement à fixer une date post-tertiaire à l’interruption de cette connexion. Qu’on n’oublie pas que la valeur stratigraphique des Mollusques terrestres est très discutable.

Le fameux Adiantum reniforme des Canaries n’est que pliocène, c’est-à-dire toujours tertiaire, au Portugal. Rien ne s’oppose à ce que, de même qu’il a persisté jusqu’à aujourd’hui dans l’archipel, il ait pu s’y maintenir depuis des époques antérieures, tout en disparaissant sur le continent, pour des raisons climatologiques ou d’un autre ordre à un moment donné, qui n’est pas forcément celui de la séparation des deux terres. On pourrait en dire autant de l’existence de la Rumina decollata, dans les gisements quaternaires des îles du Cap-Vert.

La rencontre à Fuerteventura et sur la côte maurétanienne de dépôts quaternaires identiques à Helix Gruveli constitue un fait plus décisif, quoiqu’il n’indique en aucune façon la connexion des Canaries avec le continent jusqu’au Néolithique, mais seulement jusqu’au Quaternaire. La réalité du phénomène mériterait d’être confirmée par une exploration prolongée, qui permettrait d’étudier en détail la composition et la situation de ces dépôts et de les comparer avec ceux de la côte frontière. Le séjour du P. Font aux Canaries orientales n’a été que passager, et le problème est assez important et difficile à résoudre pour mériter une plus grande attention.

III

Tandis que le travail précédent de Germain est celui qui peut servir de guide pour les données zoologiques, au point de vue botanique ce sont les études de Proust et Pitard sur la flore des Canaries qui ont apporté le plus de documents à la solution de notre problème[1]. Lemoine, dans une note publiée sur ce dernier travail, arrive aux mêmes conclusions[2]. Voyons donc brièvement quelles sont ces conclusions et comment raisonnent leurs partisans :

La flore canarienne est constituée par 1 352 espèces connues, appartenant à 512 genres. Parmi ces plantes, 468 (soit environ un tiers) sont endémiques, 534 (ou à peu près les deux cinquièmes) sont méditerranéennes, et le reste, soit 350 espèces, ubiquistes. Ajoutons que quelques-unes des plantes qui vivent actuellement aux Canaries disparurent d’Europe à l’époque tertiaire.

L’endémisme extraordinaire de cette flore, représenté par un tiers des espèces et un douzième des genres, lui donne un caractère d’antiquité notable ; les plantes endémiques de Madère ne comptent que pour un septième, celles des Açores pour un dixième et celles du Cap-Vert pour un vingt-cinquième. Dans l’hypothèse d’une terre commune dont tous ces archipels auraient formé une partie, la région la plus ancienne de ce continent devrait correspondre aux Canaries, dont l’insularité est précisément la plus moderne, comme paraît l’indiquer la Zoologie et le démontre indubitablement la Géologie. D’autre part, la richesse de la flore canarienne et surtout la proportion élevée des espèces par rapport aux genres (2,6 : 1) lui confèrent un caractère continental marqué.

La conséquence que Pitard et Proust tirent de ces caractères est que, sans doute, il a existé… « un vaste continent qui, ayant subi depuis la fin des temps secondaires toutes les vicissitudes des terres déjà émergées, a pu se recouvrir depuis son apparition de Phanérogames spéciaux et s’adjoindre dans son passage vers un climat plus doux les types plus récents du Pliocène et du Pléistocène de l’Europe ». Je confesse ne pas saisir très bien ce raisonnement. Je ne sais pourquoi il faudrait dater l’origine du continent disparu « de la fin des temps secondaires », lorsque l’union du Vieux au Nouveau-Monde remonte sans doute aux époques sédimentaires les plus anciennes. Je ne vois pas non plus de raison, puisque les espèces disparues de l’Europe et conservées aux Canaries sont du Tertiaire, pour supposer qu’au Pléistocène encore les plantes européennes purent émigrer vers les régions plus méridionales du continent atlantique.

Laissant donc de côté ces déductions non fondées, d’après lesquelles la séparation des mondes atlantique et africano-européen se serait réalisée depuis le Pléistocène, c’est-à-dire à l’époque au moins préhistorique, nous retiendrons comme caractéristiques non douteuses de la flore canarienne son antiquité et son aspect continental. Il nous semble que les considérations d’ordre botanique, comme celles d’ordre zoologique, ne permettent pas de fixer une date au moins approximative ni pour la disparition du continent atlantique, ni pour la séparation des archipels qui pourraient en représenter les restes.

Dans une seconde partie, nous examinerons le problème de l’Atlantide aux points de vue bathymétrique et géologique[3].

Lucas Fernandez Navarro.
Professeur à l’Université de Madrid.
  1. Pitard et Proust : Les Îles Canaries. Flore de l’Archipel. Paris, Klincksieck. 1908.
  2. Paul Lemoine : La flore des Îles Canaries et la théorie de l’Atlantide. La Géographie, t. XX, no 1 (1909).
  3. Conférence prononcée le 3 avril 1916 devant la Société Royale de Géographie de Madrid, traduite de l’espagnol par M. Louis Brunet.