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L.-Fernandez NAVARRO. — L’ÉTAT ACTUEL

déduction précédente. Telle est principalement la répartition des Oleacinidæ (Mollusques Pulmonés), qui ne vivent plus que dans l’Amérique centrale, les Antilles, les archipels atlantiques et le bassin méditerranéen ; en Amérique, comme dans la faune miocène de l’Europe méridionale, ils sont représentés par des formes de grande taille, tandis que, dans les archipels et la région méditerranéenne, ils sont de dimensions modestes. Les Polixenus (Myriapodes nocturnes) n’habitent plus que l’Europe méridionale, le nord de l’Afrique, les Antilles, le Guatemala et une partie de l’Amérique du Sud. Des cinq espèces connues du genre Brachysteles (Hémiptère), deux sont européennes, deux se trouvent à Madère et une aux Antilles. Des faits très analogues s’observent dans la distribution des Clausilidæ (Mollusques terrestres), des Gekonidæ (Reptiles), etc., ainsi que de quelques Fougères et de l’ensemble de la flore.

Citons enfin, avec Germain, et comme très significatives, certaines analogies entre les faunes carcinologiques littorales américaine et africaine, l’existence de 15 Mollusques marins communs aux Antilles et au Sénégal (sans qu’on puisse invoquer le transport des embryons, qui n’arriveraient pas vivants après un trajet aussi étendu), et surtout des Madréporaires de San Thomé étudiés par Gravier et connus seulement, en dehors de cette localité, en Floride et aux Bermudes.

Louis Germain, dans son grand travail, a épuisé tout ce que peuvent fournir les documents biologiques aujourd’hui connus, particulièrement ceux qui se rapportent au règne animal. De leur analyse, il se croit autorisé à conclure que les archipels atlantiques furent autrefois soudés en un continent qui s’unissait au Portugal et au Maroc et qui était limité au Sud par une côte orientée du SE au NW entre le Cap-Vert et le Venezuela. La portion méridionale de cette terre prolongeait la bande désertique africaine, tandis que par le Nord se continuait la zone montagneuse sud-européenne.

L’effondrement de l’Atlantide a été indubitablement postérieur à celui du continent africano-brésilien, qui occupait l’emplacement actuel de l’Atlantique méridional. Voici quel a dû être le processus du phénomène :

Formation primaire de la fosse américaine, jalonnée à l’Ouest par la Floride, les Bahamas et les Antilles ; il y avait déjà alors une communication maritime entre les Antilles et la côte occidentale d’Afrique, au sud du Cap-Vert.

Plus tard, le continent se disloqua, laissant subsister une immense plate-forme divisée en fragments, îles étendues dans lesquelles la faune et la flore évoluèrent avec une certaine indépendance.

Puis, à une époque plus récente, mais impossible à préciser, la masse continentale se disloqua complètement pour donner naissance aux groupes d’îles actuels.

Et Germain conclut par ces paroles : « La séparation de cet archipel (du continent), que Louis Gentil considérait comme pliocène supérieure ou quaternaire, est certainement plus récente, ainsi que le prouve l’existence simultanée des dépôts à Helix Gruveli en Maurétanie et aux Îles Canaries. Elle doit se placer au voisinage du Néolithique. » C’est à cette époque que remonterait la tradition de l’Atlantide.

Laissons de côté pour le moment les considérations d’ordre géologique alléguées par Germain, qui ne sont pas originales et dont nous tiendrons compte plus loin, et faisons ressortir la conclusion de l’auteur que la convulsion finale du continent atlantique a dû se produire à la fin de la période préhistorique, tout au moins à une époque assez récente pour que la relation orale d’un si grand événement ait pu parvenir aux premières périodes de l’Histoire.

Malgré la documentation sincère et copieuse du travail de Germain, les raisons qu’il invoque sont loin d’avoir la force qu’il leur attribue. Quelques-unes même sont contraires à l’objet de sa démonstration : ainsi l’existence de la faunule de Coralliaires de San Thomé, qui, pour être probante, devrait comporter quelque représentant intermédiaire, surtout dans l’Archipel du Cap-Vert, car il serait tout à fait extraordinaire qu’elle ne se fût conservée qu’aux points extrêmes de son aire de dispersion. En effet, les larves de ces animaux ne vivant pas plus de 2 ou 3 jours, leur transport n’a pu être effectué par les courants directement d’un point à un autre ; si donc la dissémination s’est effectuée par étapes le long d’une côte — la côte méridionale de l’Atlantide — comment se fait-il qu’aucun représentant de la faunule ne se soit conservé sur les restes de cette côte, en particulier au Cap-Vert et aux Canaries ? J’avoue sincèrement qu’il y a là un phénomène zoogéographique inexplicable avec les données actuelles[1].

Quant à la valeur des particularités de distribution de certains groupes actuels isolés, comme les Oléacinidés ou les Clausilidés, par exemple, si elles nous permettent bien d’affirmer une connexion ancienne entre le Vieux et le Nouveau

  1. Il ne faut pas oublier, d’autre part, que San Thomé se trouve sur l’équateur, à 15° au sud du Cap-Vert, tandis que les Bermudes sont situées par 32° de latitude septentrionale.