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Revue générale des Sciences pures et appliquées
TOME VINGT-SEPTIÈME, 1916

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L.-Fernandez NAVARRO. — L’ÉTAT ACTUEL DU PROBLÈME DE L’ATLANTIDE

L’ÉTAT ACTUEL DU PROBLÈME DE L’ATLANTIDE

première partie

Il y a plusieurs années, d’abord à l’occasion de mes études géologiques aux Canaries, puis à la suite d’un voyage dans le Maroc occidental, j’ai dû m’occuper de ce que la Géologie peut nous enseigner sur le mystérieux continent qui gît sous les eaux de la mer Ténébreuse. Depuis lors, j’ai parcouru tout ce qui a été écrit sur ce sujet dans les temps modernes, j’ai compulsé les principaux textes anciens, et je suis arrivé à la conclusion que le problème, s’il n’est pas résolu, peut être aujourd’hui formulé par la Géologie en termes qui en permettent la solution prochaine.

I

Je commencerai par retracer l’historique succinct de la question. Chez différents auteurs de l’Antiquité, on trouve des allusions plus ou moins voilées à l’Atlantide ; mais, en général, ou elles méritent peu de foi à cause de leur caractère vague, ou elles constituent des rappels de citations antérieures. Quelques-unes, toutefois, méritent un certain intérêt, comme celle de Marcel, écrivain grec du 1er siècle avant J. C, qui, parlant des « sept îles » (Canaries), dit que ses habitants conservent le souvenir d’une autre île plus grande, l’Atlantide, dont le domaine s’étendait bien au delà des autres terres atlantiques. D’après Théopompe, contemporain de Platon, dix millions d’hommes, habitant un immense continent situé « bien au delà de l’Atlantique », vinrent en Europe et s’étendirent sur les contrées qu’occupaient les races celtiques. Il paraît, enfin, qu’il existe aussi des légendes haïtiennes et mexicaines qui se rapportent à un cataclysme assimilable à l’affaissement de l’Atlantide sous les eaux de l’Océan.

Mais la véritable origine de la légende atlantique réside dans les deux fameux dialogues de Platon. En voici les passages qui nous intéressent.

Dans l’un d’eux, un vieux prêtre de Sais s’adresse à Solon en ces termes : « Votre République (grecque) résista aux efforts d’une grande puissance qui, sortie de la mer Atlantique, avait envahi injustement toute l’Europe et l’Asie, car alors cette mer était guéable.

« Sur ses bords était une île, en face du détroit que vous appelez les Colonnes d’Hercule.

« Cette île était plus étendue que la Libye et l’Asie réunies.

« De là, les voyageurs pouvaient passer à d’autres îles, desquelles on pouvait se rendre dans tout le continent situé à l’opposite et sur les bords de la mer proprement appelée Pontos.

« Dans cette île, il y avait des rois dont le pouvoir était très grand et s’étendait sur cette île, et beaucoup d’autres, et des parties de continents. Ces rois régnaient en outre sur tous les pays du côté de la Libye jusqu’en Égypte et du côté de l’Europe jusqu’à la Tyrrhénie…

« Mais, dans les derniers temps, il survint des tremblements de terre et des inondations, et dans l’espace d’un jour et d’une nuit fatale, l’île Atlantide disparut sous la mer. » (Timée ou De la Nature).

Dans l’autre dialogue, on dit : « … Il faut nous rappeler avant tout que 9 000 ans ont passé depuis le temps qu’une guerre s’est élevée entre ceux qui demeuraient en deçà des Colonnes d’Hercule et ceux qui vivaient au delà.

« On dit que notre République (la Grèce) avait le commandement sur les premiers et qu’elle dirigea toute la guerre.

« Les autres étaient gouvernés par le roi de l’île Atlantide, dont nous avons déjà dit qu’elle était plus étendue que la Libye et que l’Asie et qui est aujourd’hui un limon impraticable produit par les tremblements de terre ». (Critias ou De l’Atlantide).

Sur une base aussi frêle que les dialogues précédents, les interprétations ont été fantastiques et variées. À l’un des extrêmes de la série, Humboldt considère ce récit comme tout à fait mythique, attribuant son invention à la tendance des auteurs grecs à exalter leur patrie, qu’ils présentent comme le sauveur du monde oriental dans les âges les plus reculés. À l’extrême opposé de la crédulité, l’Argentin Llerena ne se borne pas à croire à l’Atlantide passée, mais il ne décrit rien moins que celle qui surgira plus tard de l’Atlantique.

Quoique le texte de Platon, dans son dialogue de Timée, soit assez concluant sur l’emplacement du pays des Atlantes, il n’a pas manqué d’auteurs qui l’ont transporté vers des limites beaucoup plus lointaines. Ainsi Rudbeck le situe en Suède et fixe même la position de sa capitale, qui ne serait autre que l’Upsal actuel. Bailly le considère encore plus septentrional, puisqu’il suppose qu’il comprend les terres actuelles du Groenland, de l’Islande, du Spitzberg et de la Nouvelle-Zemble, réunies par un relief sous-marin marqué. Pour notre historien des Indes,