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HENRI POINCARÉ — LA DYNAMIQUE DE L’ÉLECTRON

calculs soient un peu plus compliqués. Le mouvement du périhélie de Mercure serait donc de 7″ dans la théorie de Lorentz et de 5,6″ dans celle d’Abraham.

L’effet est d’ailleurs proportionnel à étant le moyen mouvement de l’astre et le rayon de son orbite. Pour les planètes, en vertu de la loi de Kepler, l’effet varie donc en raison inverse de il est donc insensible, sauf pour Mercure.

Il est insensible également pour la Lune, bien que soit grand, parce que est extrêmement petit ; en somme, il est cinq fois plus petit pour Vénus, et six cents fois plus petit pour la Lune que pour Mercure. Ajoutons qu’en ce qui concerne Vénus et la Terre, le mouvement du périhélie (pour une même vitesse angulaire de ce mouvement) serait beaucoup plus difficile à déceler par les observations astronomiques, parce que l’excentricité des orbites est beaucoup plus faible que pour Mercure.

En résumé, le seul effet sensible sur les observations astronomiques serait un mouvement du périhélie de Mercure, de même sens que celui qui a été observé sans être expliqué, mais notablement plus faible.

Cela ne peut pas être regardé comme un argument en faveur de la nouvelle Dynamique, puisqu’il faudra toujours chercher une autre explication pour la plus grande partie de l’anomalie de Mercure ; mais cela peut encore moins être regardé comme un argument contre elle.

XV.La Théorie de Lesage.

Il convient de rapprocher ces considérations d’une théorie proposée depuis longtemps pour expliquer la gravitation universelle. Supposons que, dans les espaces interplanétaires, circulent dans tous les sens, avec de très grandes vitesses, des corpuscules très ténus. Un corps isolé dans l’espace ne sera pas affecté en apparence par les chocs de ces corpuscules, puisque ces chocs se répartissent également dans toutes les directions. Mais, si deux corps A et B sont en présence, le corps B jouera le rôle d’écran et interceptera une partie des corpuscules qui, sans lui, auraient frappé A. Alors, les chocs reçus par A dans la direction opposée à celle de B n’auront plus de contre-partie, ou ne seront plus qu’imparfaitement compensés, et ils pousseront A vers B.

Telle est la théorie de Lesage ; et nous allons la discuter en nous plaçant d’abord au point de vue de la Mécanique ordinaire. Comment, d’abord, doivent avoir lieu les chocs prévus par cette théorie ; est-ce d’après les lois des corps parfaitement élastiques, ou d’après celles des corps dépourvus d’élasticité, ou d’après une loi intermédiaire ? Les corpuscules de Lesage ne peuvent se comporter comme des corps parfaitement élastiques ; sans cela, l’effet serait nul, parce que les corpuscules interceptés par le corps B seraient remplacés par d’autres qui auraient rebondi sur B, et que le calcul prouve que la compensation serait parfaite.

Il faut donc que le choc fasse perdre de l’énergie aux corpuscules, et cette énergie devrait se retrouver sous forme de chaleur. Mais quelle serait la quantité de chaleur ainsi produite ? Observons que l’attraction passe à travers les corps ; il faut donc nous représenter la Terre, par exemple, non pas comme un écran plein, mais comme formée d’un très grand nombre de molécules sphériques très petites, qui jouent individuellement le rôle de petits écrans, mais entre lesquelles les corpuscules de Lesage peuvent circuler librement. Ainsi, non seulement la Terre n’est pas un écran plein, mais ce n’est pas même une passoire, puisque les vides y tiennent beaucoup plus de place que les pleins. Pour nous en rendre compte, rappelons que Laplace a démontré que l’attraction, en traversant la Terre, est affaiblie tout au plus d’un dix-millionième, et sa démonstration ne laisse rien à désirer : si, en effet, l’attraction était absorbée par les corps qu’elle traverse, elle ne serait plus proportionnelle aux masses ; elle serait relativement plus faible pour les gros corps que pour les petits, puisqu’elle aurait une plus grande épaisseur à traverser. L’attraction du Soleil sur la Terre serait donc relativement plus faible que celle du Soleil sur la Lune, et il en résulterait, dans le mouvement de la Lune, une inégalité très sensible. Nous devons donc conclure, si nous adoptons la théorie de Lesage, que la surface totale des molécules sphériques qui composent la Terre est tout au plus la dix-millionième partie de la surface totale de la Terre.

Darwin a démontré que la théorie de Lesage ne conduit exactement à la loi de Newton qu’en supposant des corpuscules entièrement dénués d’élasticité. L’attraction exercée par la Terre sur une masse 1 à la distance 1 sera alors proportionnelle, à la fois, à la surface totale des molécules sphériques qui la composent, à la vitesse des corpuscules, à la racine carrée de la densité du milieu formé par les corpuscules. La chaleur produite sera proportionnelle à à la densité et au cube de la vitesse

Mais il faut tenir compte de la résistance éprouvée par un corps qui se meut dans un pareil milieu ; il ne peut se mouvoir, en effet, sans aller au-devant de certains chocs, en fuyant, au contraire, devant ceux qui viennent dans la direction opposée, de sorte que la compensation réalisée à l’état de repos ne peut plus subsister. La résistance calculée est proportionnelle à à et à or, on sait que les corps célestes se meuvent comme s’ils n’éprou-