Page:Revue générale des sciences pures et appliquées, année 15, numéro 9, 1904.djvu/12

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’augmentation ne parait pas de nature à modifier le caractère d’intimité qui est un des plus grands charmes de l’École[1]. On pourrait craindre que l’institution des externes, en créant deux catégories d’élèves, ne détruise l’homogénéité des promotions ; c’est là une question qui a attiré très sérieusement l’attention de l’Administration, et le règlement du régime intérieur (non encore élaboré), relatif aux externes et aux internes, sera certainement conçu de manière à mélanger le plus possible tous les élèves, afin qu’ils ne cessent pas de constituer un ensemble homogène. D’autre part, on peut remarquer, comme l’a fait M. Lanson[2], qu’en réalité, même dans une promotion de 20 élèves, il se constitue plusieurs petits groupes de camarades plus intimement liés entre eux ; ces groupes seront un peu plus nombreux dans le nouveau régime, voilà tout.

L’enseignement de l’École sera-t-il modifié ? Depuis très longtemps, nos élèves suivent de nombreux cours à la Sorbonne ; ils continueront. Quant aux conférences, elles seront toujours dominées par le double souci de la science et de l’enseignement, que l’on ne sépare pas à l’École ; on s’y propose comme idéal de former des savants qui sachent enseigner, et aussi des professeurs qui soient des hommes de science, c’est-à-dire qui connaissent les méthodes de la science.

Il n’a jamais été question de créer à l’École des emplois de professeur de Pédagogie ; mais la pédagogie pratique, la seule qui vaille quelque chose, continuera à être mêlée à l’enseignement de tous les professeurs. Souvent, au milieu d’un cours d’ordre élevé, on trouve à placer une remarque relative à l’enseignement élémentaire et, inversement parfois, dans la critique d’une leçon d’agrégation, on a l’occasion d’ouvrir des horizons sur des parties très éloignées de la science.

La seule éducation pédagogique qui ne pouvait pas être donnée à l’École, pour des raisons évidentes, c’est ce que l’on peut appeler l’éducation expérimentale, c’est-à-dire en présence de vrais élèves, d’une vraie classe. Qu’une telle éducation soit indispensable pour former de bons professeurs, c’est ce qu’il paraît difficile de soutenir ici, car, sans aller bien loin, nous trouverions d’excellents professeurs à qui elle a fait défaut. Mais que cette éducation puisse être utile pour fournir le nombre maximum de meilleurs professeurs, c’est ce qu’il paraît impossible de nier, à moins d’admettre que l’expérience acquise n’est en aucune manière transmissible, ce qui serait la négation de presque tout enseignement.

C’est dans l’institution de cette éducation pédagogique pratique que réside la vraie réforme de l’École ; les conférences et discussions du Musée pédagogique peuvent être une excellente préparation à cette tâche nouvelle que nous allons avoir à accomplir ensemble ; voilà pourquoi j’ai beaucoup tenu à y participer, malgré une hésitation bien naturelle à traiter des questions d’enseignement secondaire sans autre expérience personnelle de cet enseignement que celle qui peut résulter des examens auxquels j’ai pris part. À la réflexion, d’ailleurs, cette hésitation ne m’a pas paru justifiée ; la conférence devant être suivie d’une discussion, les exagérations révolutionnaires auxquelles pourrait me conduire le manque d’expérience ne peuvent pas avoir d’inconvénient ; vous saurez, quand il sera nécessaire, me ramener au contact des réalités.

J’entre maintenant dans mon sujet, que nous diviserons, si vous le voulez bien, en deux parties, pour la clarté de la discussion. Nous parlerons d’abord de ce que l’on peut tenter de faire sans rien changer aux programmes ni à l’organisation de l’enseignement, de ce que l’on peut faire dès demain ; nous rechercherons ensuite ce qui pourrait se faire si, au lieu de nous trouver en face de programmes, d’examens, de concours, de budgets déterminés, nous nous trouvions devant une table rase. Il est clair que cette seconde partie devra être surtout regardée comme l’occasion d’échanges de vues et ne pourra guère avoir de sanctions pratiques immédiates.


I


Les exercices pratiques de Mathématiques dans l’enseignement secondaire, tel qu’il est actuellement organisé, consistent à peu près exclusivement : 1° en calculs numériques ; 2° en dessin géométrique (dit aussi dessin graphique).

Les calculs numériques sont fort peu estimés, en général, des élèves de l’enseignement secondaire ; ils sont regardés par presque tous comme une corvée aussi ennuyeuse qu’inutile. Un élève dira très couramment : « J’ai très bien réussi mon problème ; mon raisonnement est juste ; je me suis simplement trompé dans le calcul, à la fin ; mais c’est une simple erreur de virgule ; j’ai trouvé 34 fr. 50 au lieu de 345 francs. En somme, je suis très satisfait ! » On étonnerait beaucoup cet élève en lui demandant s’il serait aussi satisfait si ses parents, après lui avoir promis 345 francs pour s’acheter une bicyclette neuve, lui donnaient seulement 34 fr. 50. Il n’a, en effet, nullement l’idée que l’on puisse songer à établir un rapport quelconque entre les nombres qu’il manie dans ses problèmes et des

  1. Le chiffre des élèves à admettre pour la Section des Sciences vient d’être fixé à 20 pour 1904.
  2. Revue de Paris, décembre 1903.