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53 Dans la rue de Nazareth, et débouchant sur celle de Jérusalem, s’élève un arc d’une grande pureté, d’une entière conservation, d’une rare solidité, d’une construction parfaite. Il est du temps de Henri II et de Diane de Poitiers, dont les chiffres et les emblèmes, les H et les D, les croissants et les fleurs de lis, reluisent aux soffites, sur la tête des consoles, et sont posés sur des fonds de feuillage comme des fruits symboliques dans des touffes d’arbre. Les mascarons du Pont-Neuf n’ont pas plus de beauté. Les impostes ioniques des pilastres, les encadrements des cartouches, les ornements semés sur l’édifice entier, valent peut-être mieux encore que l’ornementation de l’ancien Hôtel-de-ville de Paris. Le Palais-de-Justice, la Préfecture de Police avaient besoin d’agrandissement et de nouvelles dispositions ; un projet proposé par un architecte du gouvernement, approuvé par le conseil municipal, ratifié par le conseil des bâtiments civils, abat l’arc de Henri II, et mutile la cour d’honneur de la Préfecture de Police. Dans cette cour, qui est de Henri IV ou de Louis XIII, sont peints à fresque des connétables comme Dugneselin, et des maréchaux de France comme Montluc. Deux jeunes architectes connus par leur amour pour les antiquités nationales et par leur science archéologique, ont été nommés pour inspecter et faire exécuter ces travaux de démolition, qui peuvent commencer aujourd’hui même. A de pareils faits, on ne peut opposer que le plus triste découragement. Les conseils, les représentations, la lutte, tout devient inutile.

On vient de restaurer l’Institut et de cacher sous un replâtrage les historiques blessures qu’il portait de la base au fronton, des pieds à la tête, depuis dix ans ; mais on n’a eu garde de toucher aux deux ailes qui encadrent l’échancrure au milieu de laquelle s’élance le portique, parce qu’on veut abattre ces deux ailes. On dit, mais on sait bien le contraire, que ces ailes sont postérieures au monument, et l’on déclare qu’il faut dégager la voirie de cette superfétation. On sait bien que ces ailes, plus récentes que certaines parties, sont cependant contemporaines du portique, contemporaines de l’entrée orientale de l’Institut, contemporaines de l’entrée occidentale de la rue Mazarine. Ce sont les mêmes pilastres corinthiens, les mêmes arcades archi voilées de rubans, les mêmes pieds-droits et chambranles des fenêtres, les mêmes entablements et attiques. On veut élargir la voie publique et dégager l’Hôtel de la Monnaie ; mais le quai est suffisant, comme on peut s’en assurer (1) ; d’ailleurs il pourrait s’élargir aux dépens de la Seine, comme ou a fait pour ceux de la Ferraille et de l’Ecole.

Enfin, dans. l’Hôtel des Invalides, sous le dôme de Louis XIV, l’autel à colonnes de marbre doré a été déposé ; mais c’est pour rendre hommage à Napoléon, et si l’on ne pouvait ordonner des dispositions différentes, le motif au moins est assez glorieux pour qu’on en prenne son parti. Il faut espérer cependant qu’on n’ira pas plus loin : c’est assez d’un pareil sacrifice à ce dieu des combats ; il ne faut pas lui offrir une hécatombe entière.

Après tout ce qui se passe depuis dix ans en France, il faut craindre de voir tomber en entier ou en partie Saint-Julien-le-Pauvre, Saint-Martin-des-Champs, les Bernardins, les Célestins, l’hôtel de la Trémouille, l’arc de Henri II, la cour de la Préfecture de police, les ailes de l’Institut, et peut-être même de voir dégrader une certaine portion des Invalides. Or, Saint-Julien est du douzième siècle, Saint-Martin du douzième et du treizième, les Bernardins de la fin du treizième, les Célestins du quatorzième, l’hôtel de la Trémouille de la fin du quinzième, l’arc de Henri II du seizième, la Préfecture de police du commencement du dix-septième, l’Institut est du courant du dix-septième siècle, et le dôme des Invalides est de l’aurore du dix-huitième. Ainsi les plus beaux siècles de notre art et de notre histoire sont attaqués, et tous à la fois, dans la seule ville de Paris ! (1) Sur ce point, nous ne saurions partager l’avis de M. Didron. (Voir, dans la Revue, l’article intitulé : Projet de Conservation des Pavillons de l’Institut, Co1 )

54 Le gothique et la renaissance, le style de Philippe-Auguste et de Louis XIV (1), périssent en même temps ! El cependant c’est à Paris que siègent les commissions chargées de conserver les monuments, et que demeurent les inspecteurs chargés de les défendre. Il est fâcheux que ces commissions ne protestent pas officiellement contre ces actes qu’elles ne paraissent pas pouvoir conjurer. Du moins ces monuments ne tomberont pas ou ne seront pas mutilés sans qu’une voix, toute faible qu’elle soit, et quoique privée de tout caractère officiel, s’élève contre ces faits qui nous déshonorent, surtout à l’étranger. On ne dit rien ici de la restauration de Saint-Denis, qui équivaut à une destruction, parce qu’on se réserve d’en parler une autre fois, prochainement, spécialement et en détail. On dit qu’un membre influent du conseil municipal, M. Arago (je le nomme hautement, parce que l’accusation est une calomnie), est le promoteur principal de ces actes de destruction, el qu’il les propose et les défend au nom du progrès. Puisque, dirait-il, la société marche el se perfectionne, il faut que les monuments se perfectionnent aussi ; les habitations doivent être à l’usage des habitants, et les constructions anciennes doivent faire place aux constructions nouvelles. Il n’y a pas de progrès à jeter au vent les cendres de son père, pour se faire enterrer à sa place ; mais à poser son propre tombeau à côté de ceux de ses ancêtres. Le progrès ne serait pas à brûler la Bibliothèque Royale pour y mettre les livres que nous faisons ou que nous ferons ; mais bien à y déposer les œuvres de M. Arago à côté de celles de Laplace, Laplace à côté de Newton et de Kepler, ceux-ci en face de Copernic, et ainsi de suite en remontant jusqu’à Ptolémée et Hipparque. Saint-Julien ne gêne pas Notre-Dame-de-Lorette, ni l’arc de Henri II, l’arc de l’Etoile ou l’arc du Carrousel. Les gardes municipaux n’en réprimeront pas plus aisément les émeutes quand le réfectoire des Bernardins sera abattu, et la cavalerie n’en aurait pas de plus mauvais chevaux parce qu’on emmagasinerait du fourrage dans la petite église des Célestins. Il y a, sous le soleil, pince pour tout le monde et pour toutes choses, et Paris est assez grand pour garder les monuments ou les débris de monuments dont on vient de parler. Veuillez agréer, monsieur le rédacteur, l’assurance de ma plus haute considération. DIDRON.

EXTRAIT DES PROCES-VERBAUX DE LA COMMISSION DES MONUMENTS HISTORIQUES. (Ministère de l’Intérieur.)

La Commission des Monuments Historiques ayant eu connaissance d’un programme de concours proposé par le Conseil municipal de Toulouse pour la reconstruction du Capitole de cette ville, programme qui a été publié dans le numéro de septembre de cette Revue, après un examen attentif des plans annexés, a signalé à M. le ministre de l’Intérieur, les résultats déplorables d’un projet qui sacrifie toutes les parties anciennes el historiques de l’ancien Capitole, pour conserver seulement sa façade principale, monument assez médiocre du dernier (1) Le déplacement momentané de l’autel de l’église des Invalides n’équivaut pas à une destruction du monument. (N. de D.)