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DES BITUMES

ET

DE LEURS DIVERS EMPLOIS

Les bitumes sont tous formés par des mélanges et des combinaisons de substances résineuses, solides ou fluides, avec des matières terreuses ou pierreuses, dans des proportions variables.

Il y a des bitumes naturels ; mais il est fort rare de les trouver exactement tels qu’ils doivent être pour les applications ordinaires.

Tantôt on les trouve à l’état fluide, ne contenant presque pas de substances terreuses ; alors ce sont de véritables goudrons minéraux ; ils sont plus épais que le goudron du commerce, et d’une grande viscosité. Dans cet état, on les nomme malts. On en trouve en France à Dax, au pied des Pyrénées, à Lobsann en Alsace, en Auvergne au Puits de la Poix, à Malintra et en d’autres lieux circonvoisins.

Dans ces diverses localités, ce malt, ou goudron minéral, est mêlé avec du sable ou du gravier, dont on le sépare en le plongeant dans des cuves d’eau bouillante, et en enlevant le goudron qui vient à la surface.

En Auvergne, le malt s’élève de lui-même à la surface d’un puits d’eau minérale, et dans quelques autres endroits il découle des fissures de roches bitumineuses quand elles sont échauffées par le soleil ; mais on ne peut en obtenir ainsi que des quantités peu considérables ; et pour en avoir davantage, il faut exploiter les bancs de pierre ou de gravier qui en sont le plus abondamment pénétrés, et l’extraire par le bain chaud ou par la distillation.

Il y a des masses considérables d’asphalte et de goudron minéral, ou bitume minéral fluide, dans le Mexique, ainsi qu’au Pérou à Payta, sur les bords de la rivière Margarita. A Coxitambo, dans l’île de la Trinité, cette substance forme une espèce de lac, dont les bords présentent des masses de bitume concret, produit par la dessiccation progressive du bitume fluide, sous l’action de l’air et du soleil. Il y a aussi du bitume semblable, en grandes masses, en Syrie.

Il est digne de remarque que tous ces bitumes, ou goudrons minéraux, de l’Europe, de l’Asie et de l’Amérique, sont de la même nature, et que, sauf de légères différences dans le degré de fluidité, on dirait qu’ils proviennent d’une seule masse : tous ont la même odeur caractéristique, résineuse, légèrement aromatique et aillacée.

Il ne faut pas confondre ces bitumes et goudrons minéraux avec diverses sortes d’huiles résineuses, nommées huiles de pétrole, pisasphalte, graisse d’asphalte, etc., qui découlent de quelques roches, ou qui surgissent du sol, au moyen de forages semblables à ceux des puits artésiens, par des percements à travers des couches pénétrées de ces substances.

Ces fluides résineux sont, en général, moins propres que les précédents aux emplois ordinaires des bitumes, parce qu’ils sont trop gras et trop fluides. Cependant, on peut les employer aux mêmes usages en les débarrassant, par la distillation, de l’excédent d’huile volatile, et en les mêlant avec des substances résineuses plus solides ; mais les prix de ces combinaisons sont presque toujours supérieurs aux prix des autres bitumes.

On peut encore citer, parmi les substances bitumineuses minérales, le bitume élastique, ou caoutchouc minéral, qui se trouve dans des mines de plomb du Derbyshire, en Angleterre. Cette substance est très-curieuse ; mais elle est trop peu abondante jusqu’ici pour que l’on puisse songer à l’employer dans les arts.

Les asphaltes sont des roches à base calcaire, de dureté moyenne, pénétrées intimement, et dans toutes leurs parcelles, de goudron minéral dans les proportions de 8 à 12 p. 0/0.

On peut en extraire le goudron fluide ; mais elles rendent peu et on n’y trouve pas de bénéfice. Il y a plus d’avantage à employer l’asphalte comme base des bitumes solides, en ajoutant à cette substance, réduite en poudre, du goudron minéral en fusion. Le mérite particulier de cette roche est, outre la proportion de goudron qu’elle contient, de ne pas exiger de trituration, parce qu’il suffit d’une légère torréfaction pour détruire son agrégation et la rendre propre à la composition des bitumes.

Les véritables roches asphaltiques sont rares ; les meilleures sont celles de Seyssel, sur la rive droite du Rhône, celles du canton de Neufchâtel, et celles de Lobsann. On en trouve aussi en Savoie.

Les autres roches bitumineuses sont, en général, moins riches en goudron et beaucoup plus dures, en sorte qu’on est obligé de les réduire en poudre par trituration pour les faire entrer dans la fabrication des bitumes.

Presque toutes les houilles contiennent du bitume minéral, mais dans un état qui diffère de celui des bitumes et goudrons minéraux dont nous venons de parler ; et il est digne de remarque que les bitumes et goudrons minéraux naturels à odeur aillacée ne se trouvent jamais dans les mines de houille, mais à une certaine distance de ces mines. On est porté à croire, d’après leurs gisements, que ces dépôts de bitume se sont opérés par la condensation des vapeurs bitumineuses qui se dégageaient des grands foyers de houille, ou par les écoulements des parties résineuses fluides, lorsque ces foyers étaient incandescents, et que c’est ainsi que les schistes houillers, voisins de ces vastes dépôts, ont été empreints des goudrons et des huiles bitumineuses qu’ils renferment presque tous. On en extrait ces substances en calcinant les bancs qui en sont les plus chargés : ainsi, dans les environs d’Autun, on extrait, depuis quelques années, des schistes bitumineux, des huiles de pétrole employées avec un grand succès par un chimiste habile (M. Selligue), pour la fabrication du gaz d’éclairage.

Les goudrons minéraux naturels étant rares et d’un transport dispendieux, sont chers dans toutes les localités éloignées de leurs gisements ; c’est pourquoi on a cherché à les remplacer par des substances analogues, telles que les goudrons minéraux extraits de la houille, les goudrons végétaux et les résines extraites des arbres résineux.

On a ainsi utilisé le goudron produit par la distillation de la houille grasse dans la fabrication du gaz. Ce goudron, dont on ne faisait jadis aucun usage, et dont on était même embarrassé comme d’un résidu incommode à cause de son odeur à la fois empyreumatique et ammoniacale qui est fort désagréable, est recherché depuis qu’on est parvenu à l’employer dans la fabrication des bitumes artificiels, au point que, dans ces derniers temps, le prix de cent kilogrammes de cette matière, qui, il y a