Page:Revue générale de l'architecture et des travaux publics, V1, 1840.djvu/26

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

adjacentes ait 4 pieds 6 pouces (1m.37), au lieu de 3 pieds (0m.91). C’est augmenter de 50 pour cent la dépense en bois de chaque paroi du pont ; mais comme en même temps, sur les ponts à deux voies, M. Town supprime le treillis, qu’autrefois il posait entre les deux voies, la quantité de bois reste la même. On peut aussi fortifier l’entrait, en le répétant au croisement immédiatement supérieur des pièces des treillis.

Sur le pont de Richmond, ces deux moyens de renforcer la charpente ont été employés simultanément.

En établissant le tablier du pont au sommet de la charpente, et en faisant d’ailleurs des ponts découverts, on se donne, avons-nous dit, la facilité de remédier au gauchissement du pont par des contre-fiches intérieures. De plus, on est débarrassé alors du poids de la toiture, qui, du moins pour les ponts des chemins de fer, n’est que d’une faible utilité.

Bien plus, cette disposition présente l’avantage d’écarter la chance d’incendies qui, dans les ponts à toiture, peuvent résulter des étincelles dégagées par les cheminées des locomotives. Cette chance doit être prise en considération en Amérique plus qu’ailleurs, parce que, le combustible qu’y brûlent les locomotives étant du bois, les étincelles y restent plus longtemps enflammées que sur les chemins de fer européens où l’on se sert de coke.

Les ponts en treillis rendent aux États-Unis de grands services. N’étant composés que de pièces légères, ils peuvent s’établir dans un très-bref délai. Ainsi, par exemple, le pont sur lequel le chemin de fer de Philadelphie à Norristown traverse le Wissahiccon, à 24 mètres au-dessus du lit du ruisseau, et qui a une longueur de 145 mètres en trois travées, a été l’ouvrage de soixante-dix jours.

Par le même motif, à quantité égale, le bois nécessaire à un pont en treillis étant d’un transport plus facile, coûte moins, dans beaucoup de cas, que celui qu’exige toute autre espèce de pont en bois. Sur le chemin de fer de Pottsville à Sunbury (Pensylvanie), le bois des petits ponts ordinaires, pour la traversée des routes (truss bridges), a été payé sur le pied de 27 fr. 30 cent, le mètre cube (12 doll. le millier de pieds B. M.[1]). Celui des ponts en treillis n’a été payé que 19 fr. 50 cent, le mètre cube.

Ces ponts se composent de pièces toutes exactement sur le même modèle et de la forme la plus simple, de sorte que, par des procédés mécaniques tout à fait élémentaires, rien n’est plus aisé que de tailler toutes les moises des treillis avec une précision parfaite, et d’y pratiquer, avec non moins de précision, les trous destinés à recevoir les chevilles.

Les travées n’ayant aucunement la forme d’arceaux, et étant, au contraire, rigoureusement plates, il en résulte que les piles n’éprouvent pas la poussée latérale qu’elles ont à supporter dans les autres ponts. Dès lors, il suffit de leur donner l’épaisseur qui est nécessaire pour qu’elles résistent à la pression verticale représentée par le poids du pont.

Les ponts en treillis se multiplient beaucoup aux États-Unis. Il y a une douzaine d’années, on en construisit un de 2,200 pieds de long en dix travées, sur la Susquéhannah, à Clarke’s Ferry, près de Duncan’s Island, au-dessus de Harrisburg (capitale de la Pensylvanie). J’en ai vu construire un de 470 mètres sur l’Hudson, à Troy (Etat de New-York) pour le chemin de fer de Troy à Ballston Spa. Les travées principales y ont 180 pieds (54m.90). Il est partagé en deux voies, larges chacune de 4m.50, et séparées par un treillis additionnel. Il est construit avec le tablier en bas, et avec treillis double sur chacune de ses parois. En 1835, il en existait d’autres d’une grande portée à Newburyport (Massachussetts), à Northampton et à Springfield, dans le même Etat, à Providence, à Tuscaloosa (Alabama), etc. ; depuis lors, on en a construit sur une foule de points.

Le prix de la charpente de celui de Troy, sans peinture, est, tout compris, de 297 fr. 07 le mètre (18, 25 doll. le pied). Le bois vaut, à Troy, 22 fr. 91 le mètre cube. Les piles sont en beau calcaire bleu. Le tablier est à 9 mètres au-dessus des basses eaux.

Le pont de Tuscaloosa (Alabama) sur le Black-Warrior, a quatre travées, dont la portée est de 220 pieds (6m.30). La hauteur du treillis est de 16 pieds (4m.88). Il a coûté en tout 160,000 fr., ou 580 fr. par mètre courant. Ce pont a été livré à la circulation en décembre 1834. Il résiste très-bien à la dure épreuve que lui font subir les troupeaux qui le traversent.

J’ai vu un autre pont de même construction à très-grande portée, à Nashua (New-Hampshire), sur le Merrimack.

Le pont jeté sur le grand Conestogo, pour le passage du chemin de fer de Philadelphie à Columbia (Pensylvanie), tel qu’il a subsisté jusqu’à ces derniers temps, avait 1,412 pieds (431 mètres) de long, partagés en neuf travées de 150 pieds (45m.75) ; sa largeur était de 22 pieds (6m.70) ; la voie y portait sur l’entrait. La charpente avait été exécutée, avec la toiture et les bordages latéraux, sans peinture, à raison de 195 fr. le mètre courant. La maçonnerie avait coûté 77,579 fr., à raison de 13 fr. 15 c. le mètre cube. La dépense totale était donc de 351 fr. 88 c. par mètre courant. Ce pont était beaucoup trop faible ; les convois du chemin de fer n’y marchaient que très-lentement ; les moises du treillis n’y avaient que 5 cent. d’épaisseur, et, depuis que je l’ai vu, on a dû le reconstruire.

M. Town estime qu’avec un prix de bois considéré, aux États-Unis, comme favorable, 22 fr. 65 c. à 27 fr. 10 c. le mèt. cub., la charpente en treillis coûte, pour des portées de 20 à 30 mètres, 174 à 227 fr. le mètre courant.

Pour des portées de 35 à 60 mètres, ce serait 262 à 436 fr. le mètre courant ; pour des portées plus grandes, l’augmentation de dépense serait considérable.

M. Robinson a donné, sur les nombreux chemins de fer qu’il a construits, la préférence aux ponts en treillis sur tous les autres systèmes. Portant dans la conception de ces ponts l’esprit d’analyse qui le distingue au plus haut degré, il les a successivement perfectionnés, sans cependant en élever la dépense au-delà des limites habituelles.

De tous les ponts qu’il a construits, celui de Richmond est le plus remarquable, et de tous les ouvrages de charpente exécutés par les Américains, qui, sous ce rapport, sont au premier rang, il n’y en a aucun qui puisse être mis au-dessus. Ce pont est situé à la sortie de la ville de Richmond, sur le chemin de fer qui lie cette ville à celle de Petersburg, et qui fait partie de la grande ligne du nord au midi par New-York, Philadelphie, Baltimore, Washington, Fredericksburg, Richmond, Petersburg, Raleigh, Charleston.

Il a été bâti en aval de la magnifique cataracte du James-River à Richmond. Le fleuve est là fort large, mais il n’a qu’une

  1. L’unité pour les bois de sciage est, aux États-Unis, le millier de pieds courants d’un pied de large sur un pouce d’épaisseur. C’est ce qu’on appelle un millier Board Measure, ou, par abréviation, B. M.