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que sa précautieuse timidité est gênée par ce bloc. D’après lui, Bruckner ne viendrait pas de Beethoven et ne serait pas le père de Mahler, puisqu’il ne le serait de personne. Ce qui l’isolerait, je le sais bien, moi, et l’ai déjà dit. En outre, M. Louis croit devoir excuser Bruckner d’avoir été un paysan, d’avoir manqué d’éducation ; à l’entendre, les symphonies manqueraient de belles manières. Certes, elles ne portent ni gants, ni bottines vernies, ni sous-pieds… Ce n’est la coutume, je crois, ni de la Pastorale ni de l’Héroïque. Et je pense que Beethoven lui-même n’était pas d’un abord si plein d’urbanité. Serait-ce peut-être que Brahms eût pu donner des leçons de politesse, de bonne tenue et d’atticisme à Bruckner ?

Qu’auraient-elles à faire des convenances, ces symphonies, qui sont la nature elle-même dans toute son âpreté comme dans toutes ses grâces ?

En revanche, dans sa musique religieuse, Bruckner, seul de tous les grands maîtres allemands, a l’air parfaitement chez lui à l’église. La Missa solennis est surtout une bataille, un prodigieux effort de volonté. C’est une Héroïque de plus. Et c’est une Sixtine si l’on veut. Les messes de Mozart et de Haydn sont souvent, sous leurs atours mondains, pleines de piété, mais sans vraie profondeur religieuse. Les messes de Beethoven à leur suite seront purement humaines. Bruckner, lui, a naturellement le sens du divin. Il est le seul musicien qui aurait pu écrire la musique d’un paradis vraiment paradisiaque, difficulté ou plutôt impossibilité devant laquelle Liszt a reculé dans sa Dante symphonie, où il sut si bien représenter l’enfer ! Il se comporte dans ses messes et son Te Deum, en dehors du sentiment magnifique qui les inspire, en grandiose décorateur. Si l’on peut un moment se distraire de l’inconcevable émotion religieuse qu’il produit, il faut rendre justice au prodigieux artiste instinctif. C’est une marée diluvienne d’amour, de piété, d’effusion mystique qui déferle avec les masses chorales ; il y a des méditations prolongées et des oraisons jaculatoires ; il y a de tristes retours sur soi-même et des élans de reconnaissance où l’on sent la créature éperdue se rouler dans le sein de Dieu. Mais par-dessous ces chants, qu’il faut pour la piété ajouter aux plus