Page:Revue franco-americaine - volume 1 - juin 1895.djvu/81

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
74
REVUE FRANCO-AMÉRICAINE.

de la lumière. Je m’attendais à un cri. Non. Cependant je ne doutais pas qu’il eût vu cette porte remuer.

Je continuais à la pousser d’un mouvement imperceptible. Et, de biais, je distinguais un peu du mur de la chambre. Et ce peu augmentait. Et soudain j’y remarquai, pendu, un poignard.

À cet instant, j’eus l’intention de m’enfuir, et cette intention se manifesta par un geste plus brusque, en avant. M’enfuir ! Est-ce que je pouvais m’enfuir ? Si je l’avais pu, j’aurais pu aussi bien ne pas venir.

Quand mon hésitation cessa, j’avais de quoi passer la tête, et ma tête se pencha. C’était fini. Jusque-là, l’homme avait le droit de s’imaginer que la porte s’ouvrait toute seule. Mais le coin de mon front, il le voyait !… et quel front ! Comme je suis entièrement chauve, je pensais :

— Il ne doit rien comprendre à cette chose luisante qui glisse ainsi qu’une carapace de tortue.

Comme ce fut long ! On croit que toutes les secondes sont égales. Ah ! je vous le dis, moi, il y en a eu là quelques-unes qui durèrent bien plus longtemps, bien plus. Je le savais d’ailleurs par la pendule, dont le bruit se ralentissait, indéfiniment, à mesure que j’avançais, moi.

Elle sonna. Mon sourcil devait passer. J’attendis la fin de la sonnerie. Je comptai treize coups, oui, treize, j’en suis sûr.

Je n’eus pas le temps de m’étonner, car, au treizième, nettement, mon œil entra, le gauche, et tout de suite il reçut le choc de ses deux yeux, à lui.

Il était là, à huit pas de moi, renversé dans un fauteuil, les bras sur les accoudoirs, immobile, et il me regardait. Et nous nous regardâmes.

Je devinai qu’il était assez jeune et très beau. Mais, en réalité, je ne vis que ses yeux. Ils m’effrayaient, moins parce qu’ils appartenaient à un être vivant capable de se défendre, que par leur frayeur même. Et je me demandais qui avait le plus peur, de ses yeux ou du mien. Je dis « du mien », car l’autre restait caché, et, en conséquence, devait être naturel, lui.

Cela finissait même par me constituer une infériorité dans la lutte. Et puis ma situation me semblait ridicule. J’ai toujours remarqué le côté comique des situations. N’avions-nous pas l’air de jouer au guignol ? J’eus envie de crier : « Coucou ».

Je résolus de m’en aller. Mais, soudain, j’avisai ses mains. Les malheureuses, elles tremblaient comme des petits oiseaux qui ont froid ! Et, l’examinant mieux, je m’aperçus que tout son corps tremblait de la sorte.

Alors le suaire de la peur tomba de mes épaules, et j’entrai.

Je fis sept pas, hardiment, et je m’arrêtai. Il ne bougea point. J’aurais pu le toucher. Malgré tout, mon cœur battait, comme une sonnette que j’aurais eue dans la poitrine. J’écoutai le sien. Ah ! l’infortuné, son pauvre cœur… Cela l’ébranlait, comme des coups de grosse cloche remuent les pierres des tours.

Comment craindre un pareil poltron ? Je devins absolument calme, un peu railleur même. Et vrai, c’est plutôt par moquerie, qu’avec intention sérieuse, que je tirai mon revolver.

De toutes ses forces le misérable voulut crier, s’agiter. Mais je ne redoutais rien. Il