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REVUE FRANCO-AMÉRICAINE.

LA FEMME EN FRANCE

Par Madame Anna LAMPÉRIÈRE

Dans son dernier numéro, La Revue Franco-Américaine publiait un article de M. Léopold Lacour, la Question de la Femme. En réponse à cet article, écho des plus hardies revendications féministes, Madame Anna Lampérière, dont on connait les courageuses et belles études sur la question, nous adresse les pages que l’on va lire. Il paraitra sans doute piquant à nos lecteurs d’entendre la voix d’une femme qui conçoit le rôle de la Femme, non à la révolutionnaire, comme les apôtres du féminisme, mais en vraie femme, tout simplement.


Si les femmes doivent voter, je demande qu’on commence tout de suite, par un vote sur la proposition que M. Goirand a commise, touchant le salaire des femmes : gageons, — il y a encore du bon sens et de la dignité chez nous, — que cette proposition serait repoussé, et avec une belle majorité !

Certes, c’est chose très osée que s’inscrire en faux contre un avis si éloquemment défendu par le rare polémiste qu’est M. Léopold Lacour ; mais dût-il, suivi de toutes les Olympes de Gouges, présentes et futures, demander, avec sa bonne grâce péremptoire, la tête d’une suspecte, il faut dire tout haut ce que tant de femmes pensent tout bas : les féministes devraient bien nous laisser tranquilles !

La proposition Goirand est une iniquité. Ce député modéré se fait l’écho d’une réclamation, en apparence anodine, datant des beaux jours où l’excellente Maria Deraismes menait la cohorte sainte : la Ligue du droit des femmes avait relevé cette idée, non sans succès, et une personne très aimable, très habile, — si vive et si décidée qu’un confrère a pu justement la surnommer « la petite souris » — en a fait une affaire personnelle. M. Goirand n’a pu, ni su résister à tant de sollicitations réunies : il a formulé et déposé un texte qui menace — sans succès, espérons-le ! — de consacrer un état de choses littéralement monstrueux.

Le discuter à fond serait intéressant ; mais nos féministes nous taillent de bien autres besognes : personne n’excelle comme eux à toucher à tout, à tout condamner ou tout recommander d’un trait de plume, sans plus s’arrêter aux conséquences que si la conséquence n’existait pas. Disons-le donc tout simplement : le temps et les forces de la femme mariée appartiennent à la communauté solidaire qu’est la famille ; si, d’accord avec le mari, elle fait de ce temps un emploi considéré par tous deux comme plus productif que le soin direct des enfants et de la maison, elle doit à cette communauté, dont le mari est le chef, tout le produit de son travail.