Page:Revue fantaisiste numéros 1 à 6, 1861.djvu/162

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Je jetai ma bourse au vieillard avec une grâce qu’eût enviée un Almaviva de la salle Chantereine. Mais le sphinx, ne quittant pas son piédestal : « Monsieur, monsieur, me cria-t-il, en jetant un dernier coup d’œil sur ses cartes, courez vite chez vous, quelqu’un vous attend.

— Ah ! diable ! pas de quiproquo, dis-je en revenant sur mes pas. Si ce sont des créanciers qui m’attendent, je ne vois pas la nécessité de courir si fort ; à moins que je ne trouve en chemin quelques-uns de ces trésors que vous faites découvrir à vos amis, ou que vous ne me passiez à l’instant la bague qui rend invisible.

— Ce ne sont pas des tailleurs ni des bottiers, monsieur. C’est une personne du sexe.

— Ma vieille blanchisseuse, je parie ?

— Non, monsieur, la dame de cœur à la tête en bas ; votre visiteuse est une actrice. »

Je courus comme un fous du côté de la rue Saint-Jacques. Comment, répétais-je dans le délire de la joie, elle ! mon admiration et mes amours ! elle ! mon Ophélia, ma Paola, mon Chérubin ! seule chez moi ! chez moi qu’elle ne connaît que de ce matin par un madrigal (et quel madrigal, bon Dieu !). Oh ! non ! c’est impossible.

Et pourtant j’espérais. Le magicien du Mont-Parnasse m’avait ensorcelé comme il ensorcelle la jeunesse naïve et guerrière, à qui, dit-on, il promet, de temps immémorial, les sourires d’une princesse à la parade. Et puis cette dame de cœur ne me sortait pas de la tête et me causait des éblouissements. Je frappai en tremblant au carreau de ma portière, la respectable Mme Cruchon.

— Monsieur, me dit-elle avec un aire mystérieux et avec un sourire, montez chez vous, on vous attend.

— Je sais…, je sais, répondis-je en balbutiant, foudroyé que j’étais par le bonheur.

— Tiens ! vous le saviez ! On m’avait pourtant dit que c’était une surprise qu’on vous ménageait. C’est moi qui lui ai porté à dîner, monsieur, après quoi je l’ai couchée sur votre lit. Elle est bien gentille, allez !

— Dieu de Dieu ! à qui le dites-vous !