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pauvre nourri par la paroisse meilleure que celle de l’honnête homme qui travaille. Cela est monstrueux, n’est-ce pas ? Eh bien, cela est nécessaire. L’Angleterre a des travailleurs, mais moins de travailleurs que d’habitants. Or, comme entre nourrir les pauvres et les tuer il n’y a pas de milieu, les législateurs anglais ont pris le premier de ces deux partis ; ils n’ont pas eu autant de courage que l’empereur Galère : voilà tout. Reste à savoir si les législateurs français envisagent de sang-froid ces horribles conséquences du régime industriel qu’ils ont emprunté à l’Angleterre ! J’insiste. La concurrence produit la misère : c’est un fait prouvé par des chiffres. La misère est horriblement prolifique : c’est un fait prouvé par des chiffres. La fécondité du pauvre jette dans la société des malheureux qui ont besoin de travailler, et ne trouvent pas de travail : c’est un fait prouvé par des chiffres. Arrivée là, une société n’a plus qu’à choisir entre tuer les pauvres ou les nourrir gratuitement, atrocité ou folie.


III. LA CONCURRENCE EST UNE CAUSE DE RUINE POUR LA BOURGEOISIE.


Je pourrais m’arrêter ici. Une société semblable à celle que je viens de décrire est en gestation de guerre civile. C’est bien en vain que la bourgeoisie se féliciterait de ne point porter l’anarchie dans son sein, si l’anarchie est sous ses pieds. Mais la domination bourgeoise, même abstraction faite de ce qui devrait lui servir de base, ne renferme-t-elle pas en elle-même tous les éléments d’une prochaine et inévitable dissolution ?

Le bon marché, voilà le grand mot dans lequel se résument, selon les économistes de l’école des Smith et des Say, tous les bienfaits de la concurrence illimitée. Mais pourquoi s’obstiner à n’envisager les résultats du bon marché que relativement au bénéfice momentané que le consommateur en retire ? Le bon marché ne profite à ceux qui consomment qu’en jetant parmi ceux qui produisent les germes de la plus ruineuse anarchie. Le bon marché, c’est la massue avec laquelle les riches producteurs écrasent les producteurs peu aisés. Le bon marché, c’est le guet-a-pens dans lequel les spéculateurs hardis font tomber les hommes laborieux. Le bon marché, c’est l’arrêt de mort du fabricant qui ne peut faire les avances d’une machine coûteuse que ses rivaux, plus riches, sont en état de se procurer. Le bon marché, c’est l’exécuteur des hautes œuvres du monopole ; c’est la pompe aspirante de la moyenne industrie, du moyen commerce, de la moyenne propriété ; c’est, en un mot, l’anéantissement de la bourgeoisie au profit d’oligarques industriels.