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REVUE DU PAYS DE CAUX

pénurie actuelle de capitaux est trop forte pour être momentanée ; les Italiens ne trouvent pas chez eux l’argent nécessaire pour les mises de fonds qui s’imposent ; mais, avant longtemps, les capitalistes étrangers prenant confiance dirigeront sur l’Italie leur Pactole et y accompliront ce que les habitants ne peuvent réaliser d’eux-mêmes.

À l’aide de ce qu’on appelle l’annuité successorale, c’est-à-dire le montant des valeurs mobilières et immobilières héritées au cours d’une année, montant que l’on multiplie ensuite par 35 ou 36, chiffre moyen de la durée d’une génération humaine — M. Théry a évalué la fortune privée des Italiens ; celle de la France, établie d’après les mêmes données, s’élèverait à 205 milliards, soit 7.876 francs par tête d’habitant ; en Italie le total ne dépasserait pas 51 milliards 1/2 ce qui réduirait la part de chacun à 1.716 francs. Mais il ne faut point perdre de vue que le sol français, déjà très peuplé, n’a qu’une densité de population de 72 habitants par kilomètre carré, alors que la densité italienne est de 113, et qu’elle atteint même en Campanie, le chiffre colossal de 189. L’Italie est surpeuplée ! et l’augmentation de la population dépasse 7 % ; ce chiffre, l’un des plus élevés de l’Europe, ne s’est guère modifié entre 1861 et 1901. Rien d’étonnant par conséquent à ce que les pouvoirs publics ne cherchent point à enrayer l’émigration mais, tout au contraire, l’encouragent et la régularisent. L’émigration permanente atteint 251.000, c’est-à-dire qu’elle est encore très inférieure à l’excédent annuel des naissances sur les décès, lequel s’inscrit à 350.000 (en France, dans les années les plus peuplées, il n’a été que de 72.000). Il existe aussi une émigration temporaire de travailleurs, terrassiers et autres, qui sortent chaque année, au nombre de 281.000 pour une période de plusieurs mois. Ceux-là dépensent en Italie l’argent gagné au dehors. Quand aux émigrés définitifs, étant en général peu fortunés, ils ne créent point au commerce de la métropole des débouchés bien prospères ; mais ils forment au loin des colonies nombreuses et compactes et servent quand même l’intérêt du pays, répandant sa langue et — lorsqu’ils ne s’adonnent pas au couteau, volontiers rapide dans leurs doigts irascibles — faisant aimer son nom. Ce serait une grande erreur de voir dans l’émigration italienne un appauvrissement ; c’est pour l’Italie présente un soulagement nécessaire — pour l’Italie future un enrichissement assuré.

En attendant, elle est parvenue à force de sagesse à refaire sa