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rerait identique et que nulle déchéance n’interviendrait pour elle. Dès lors le plan était simple : aider la Prusse et le Piémont dans leur extension et leur faire attribuer les présidences des confédérations formées par les états d’Allemagne et d’Italie : se faire céder en retour Nice, la Savoie, le Luxembourg et peut-être les provinces wallonnes de Belgique. C’était, à la fois, opérer la revanche si longtemps désirée des humiliations de 1815 et poser les bases d’une ère durable ; sans doute une confédération italienne n’eut pas vécu éternellement, mais elle pouvait vivre et l’avantage immédiat en était incalculable pour nous.

En cette circonstance, Napoléon fut plus Italien que Français. Il sacrifia la politique française au sentimentalisme italien dont il était imprégné. Dès qu’il fut sur le trône il se sentit inciter à travailler pour le pays, théâtre de ses exploits de jeunesse. C’est pourquoi les Italiens devraient élever un monument grandiose à ce souverain auquel les Français n’en doivent point ; et la dédicace qu’ils y inscriraient serait celle-ci : à Napoléon iii, qui nous conquit le Milanais et ne nous imposa point une confédération. Car des deux bienfaits, le plus grand fut le négatif.

À défaut d’un appui efficace pendant la guerre de 1870 — appui que le roi d’Italie ne pouvait en aucune façon leur donner sans compromettre sa dynastie et trahir les intérêts de son pays — les Français, conscients des services rendus à l’Italie par Napoléon avec leur sang et leur argent, attendaient de leurs voisins du sud une attitude de neutralité bienveillante. La neutralité, sans doute, fut observée, mais elle fut constamment malveillante. Et cette malveillance se produisant au lendemain de si grands désastres, en présence d’une situation si tragique et d’un si courageux effort de relèvement, froissèrent l’âme française beaucoup plus douloureusement que ne le fit plus tard la politique gallophobe de Crispi.

L’adhésion à la triple-alliance a été très coûteuse pour l’Italie ; mais elle lui a été aussi très avantageuse ; il y a des dépenses excessives qu’il est parfois utile de consentir. Avec tous ses défauts, Crispi a beaucoup fait pour sa patrie et, plus le temps s’écoulera, plus on viendra à le reconnaître chez nous. Certes, les sentiments de Crispi envers la France furent inutilement violents ; son tempérament sicilien outrait volontiers les idées et chargeait les propos. Mais dans l’intervalle s’était opérée cette conquête