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CE QUI SE PASSE DANS LE MONDE

Le Jubilé de Chipka.

Il y aurait bien à dire sur l’opportunité des fêtes Russe-Bulgares par lesquelles a été commémoré le vingt-cinquième anniversaire des combats livrés au défilé de Chipka, ces Thermopyles de la Bulgarie. Certes, tant par l’importance stratégique du lieu que par l’héroïsme des combattants, nuls fastes militaires n’étaient plus dignes d’être honorés ; encore fallait-il que le juste hommage rendu aux morts ne tournât point au détriment des vivants. Et c’est là précisément ce qui a failli arriver. On a eu beau proclamer que les fêtes étaient essentiellement pacifiques ; l’état dans lequel se trouve en ce moment la Macédoine suffisait à leur donner un caractère foncièrement belliqueux ; et quoiqu’on put dire et faire pour le leur ôter, la pensée des assistants ne pouvait manquer de se porter vers les hécatombes à venir, plutôt qu’elle ne s’attardait aux tueries du passé. Les paroles prononcées n’ont été d’ailleurs ni aussi mesurées ni aussi prudentes qu’il eût convenu, et le prince de Bulgarie, en parlant du « brillant avenir de la foi orthodoxe », a célébré, en somme, la marche en avant de l’influence Russe. Autour de lui, en cette circonstance, tout était Russe. On inaugurait une église et un séminaire Russes : le Grand Duc Nicolas représentait le Tsar et des délégations de l’armée Russe lui faisaient escorte. Après cela, le Grand Duc Nicolas n’a pas manqué de s’en revenir par Constantinople et d’y saluer le Sultan. Il lui aura porté, probablement, des messages de paix. Mais le premier des messages de paix eut été de refuser l’invitation du prince Ferdinand et d’envoyer à Chipka de belles couronnes mortuaires au lieu d’un lot de généraux en grand uniforme. Alors, la guerre de 1877, entreprise pour émanciper la Bulgarie — ou du moins dont tel fut le résultat — tombait dans le passé ; tandis qu’aujourd’hui dans toute cette région on a ressuscité l’état d’esprit de cette époque héroïque, et à la façon dont les combats d’antan ont été évoqués, chacun a compris que d’autres suivraient bientôt, moins acharnés peut-être, car la Turquie s’épuise, mais plus décisifs encore.

Après le Grand Duc Nicolas, c’est le roi de Roumanie qui est venu rendre visite au prince Ferdinand et rappeler, à son tour, les souvenirs d’une lutte à laquelle ses soldats prirent part, eux aussi. Cette visite peut sembler naturelle : elle n’en est pas moins