Page:Revue du Pays de Caux n4 septembre 1902.djvu/32

Cette page a été validée par deux contributeurs.
152
REVUE DU PAYS DE CAUX

qu’un moyen de faire disparaître les traces de votre influenza, il vous faut de l’air de mer. Vous allez mettre 1.000 francs dans votre poche et courir à la Compagnie Transatlantique : là, vous prendrez un billet d’aller et retour pour New-York ; vous partirez samedi prochain par la Bretagne ; huit jours après, vous débarquerez aux États-Unis ; vous aurez juste le temps d’aller voir le Niagara et vous reprendrez le paquebot du samedi suivant ; cela fera un peu plus de trois semaines ; 5 jours à terre et 18 jours en mer… Allez ! Vous serez guéri ». Subjugué par son éloquence, j’ai obéi… et je pars demain.


À bord, samedi 30 août.

Ma cabine est intérieure : c’est tout ce qui restait. Il me semble que je vais étouffer dans ce logis lilliputien que je partage avec un inconnu. C’est un Italien ; il vient d’arriver, suivi d’une petite valise et de douze cartons à chapeaux qu’on a amarrés dans le corridor. Il porte une chemise de foulard écru à cordelière rouge qui me parait d’un effet charmant.

Le temps est radieux : le bassin de l’Eure est sillonné d’embarcations ; les bouées rouges se reflètent dans l’eau bleue. Une jolie brume transparente flotte sur la côte d’Ingouville. Nous aurons un départ superbe.

En attendant il arrive toujours du monde et des paquets et des fauteuils pliants et de grands Anglais qui ne disent rien et des Français bavards qui s’embrassent. Le capitaine n’a pas paru. Je lui ai fait porter une lettre de recommandation que j’avais pour lui. On le dit aimable, mais très froid et peu loquace.

Mon Italien a arboré un costume de flanelle à rayures jaunes et roses qui ne manquera pas ultérieurement de produire une grande sensation. Mais pour l’instant, personne ne le remarque dans l’ahurissement du départ. Enfin, on a fait évacuer le navire et la communication est coupée avec le quai. La Bretagne évolue lentement, aidée par un tout petit remorqueur qui semble se donner beaucoup de mal. La voici dans l’avant-port. Sur la jetée, la foule se presse, agitant des mouchoirs ; on y répond du bord. Un coup de canon retentit et le pavillon national s’abaisse pour saluer la terre de France. On reste encore un instant sur le pont à regarder les côtes, la plage couverte de baigneurs avec la grande masse carrée de l’hôtel Frascati, les phares de la Hève, Sainte Adresse noyée dans la verdure, puis de l’autre côté de la Seine, Honfleur, Trouville,