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REVUE DU PAYS DE CAUX

préparé des adeptes dont l’enthousiasme allait, au besoin, jusqu’au martyre.

Nous verrons tout à l’heure ce que son caractère religieux assure au socialisme de succès éventuels. Avoir constaté ce caractère suffit à légitimer ce que nous disons plus haut, à savoir que le socialiste mérite le respect de ses adversaires même. Mais le respect n’exclut pas la méfiance. Il est toujours bon de se méfier d’un culte nouveau. Un peuple arrive à se libérer d’une législation qui l’opprime : il a beaucoup plus de peine à échapper à un état d’esprit qui l’énerve ; les ruines accumulées, par une mauvaise politique, sont bien moindres que celles engendrées par une philosophie nationale erronée et l’on sort de l’impasse économique plus facilement que de l’impasse morale. Aussi doit-on regarder à deux fois avant de s’y engager.


Le socialisme devra produire de la richesse

En tant que religion nouvelle, le socialisme jouit de certains avantages et présente un inconvénient grave. Ses avantages sont l’absence de culte et la simplicité de dogme. Son principe est accessible à tous et jusqu’ici, du moins, il ne s’encombre pas de détails inutiles. Mais, d’autre part, son infériorité lui vient de ce que le paradis qu’il promet est terrestre au premier chef, de sorte que les fidèles peuvent en surveiller l’aménagement et contrôler la réalisation des promesses qui leur ont été faites. Le bien-être de l’humanité est un idéal très élevé, mais non lointain et surtout qui n’est séparé de nous par aucun mur ; la mort dissimule aux regards le vrai paradis. Ici, nulle mort ne ferme l’horizon ; les mêmes jambes de chair et d’os qui portent les mortels doivent les conduire au but. Pas besoin d’ailes pour y arriver. La situation est un peu celle des Israélites en marche vers la Terre promise. Si elle tarde trop et, surtout, si elle ne répond point à leur attente, ils se révoltent. Les combattants de l’armée socialiste sont prêts à endurer bien des souffrances pour le triomphe de leur cause, mais encore faut-il que leur cause ne les désillusionne pas et qu’ils n’aperçoivent pas le néant de leurs efforts.

Or ce ne sont pas des vulgaires « partageux » anxieux de prendre, tout simplement, à ceux qui ont afin de donner à ceux qui n’ont pas. L’état social qu’on leur a décrit et pour lequel ils se sont