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CE QUI SE PASSE DANS LE MONDE

comte Khuen-Hedervary, ban de Croatie, a été plus heureux, mais l’empereur-roi a dû lui faire la concession qu’il refusait à M. de Szell, dix jours plus tôt : belle avance ! En Grèce, M. Delyanni a démissionné parce qu’il n’avait plus la majorité dans la Chambre. M. Théotokis a pris le pouvoir et y est demeuré une semaine, un bout de laquelle, la question des raisins secs aidant, la même majorité qui venait de lâcher M. Delyanni s’est retrouvée intacte autour de son premier lieutenant, M. Ralli. Expliquez ça, si vous pouvez. En Italie, M. Zanardelli après quelque hésitation a été convié à retaper son cabinet, ce qu’il a fait aussitôt, et il faut bien convenir que cette solution était de beaucoup la meilleure ; alors à quoi bon ? En Espagne, M. Villaverde conservateur remplace M. Silvela conservateur…, toutes ces crises ministérielles constituent ce qu’on eut appelé, il y a quinze ans, des crises « à la Française » ; ce qui veut dire — dénomination peu flatteuse ! — qu’elles n’ont ni queue ni tête, ne répondent à aucun mouvement de l’opinion et portent au pouvoir des combinaisons de hasard sans programme bien défini. On peut le dire d’une façon générale, la caractéristique en tous pays est aujourd’hui l’émiettement des partis ; en Angleterre même, où le jeu de bascule parlementaire entre libéraux et conservateurs paraissait si fortement établi, ces dénominations qui subsistent ont beaucoup perdu de leur signification : il est bien difficile de savoir si Lord Rosebery est encore un libéral et M. Brodrick, un conservateur. Pendant ce temps non seulement la France a réalisé cette stabilité ministérielle qui semblait au-dessus de ses forces, mais qu’elle a atteint du même coup cette séparation en deux grands partis que les admirateurs du régime parlementaire appelaient de tous leurs vœux et qui demeurait l’apanage de ses rivales. Les Français en sont-ils satisfaits ? pas trop, et nombre d’entre eux regrettent à présent les temps plus paisibles du crépuscule politique.

C’est que l’existence de deux partis uniques se succédant au pouvoir exige que les divergences d’opinions qui les séparent ne portent sur aucune des grandes questions nationales et qu’un patriotisme uniforme subsiste à la base, pour l’un comme pour l’autre. Si les partis ont des façons trop différentes de concevoir les principes fondamentaux de la société et les intérêts supérieurs du pays, celui qui détient le pouvoir tend à l’exercer avec violence et à faire prédominer par la force ses doctrines et ses méthodes.