Page:Revue du Pays de Caux n4 juillet 1903.djvu/6

Cette page a été validée par deux contributeurs.
126
REVUE DU PAYS DE CAUX

Une Francophilie imprévue.

Imprévue de ceux-là seulement qui connaissent mal l’Angleterre ; les autres n’ont pas été surpris des ovations qui ont accueilli, à Londres, le président de la République, ovations dont le caractère désintéressé et spontané n’est pas discutable. Qu’une pensée politique se dissimule derrière la résolution prise par le roi de provoquer, par sa visite à Paris et par la réception faite à M. Loubet, un rapprochement entre les deux pays, ce n’est pas douteux. Mais quand Édouard vii disait dernièrement au célèbre peintre Bonnat : « nous recevrons M. Loubet comme jamais chef d’État n’a été reçu chez nous », c’est à la foule qu’il pensait, à cette foule Anglaise dont il connaît si bien les grands et les petits côtés. Le roi et son gouvernement avaient, au début, aiguillé leur politique vers l’Allemagne répondant ainsi aux habiles avances de Guillaume ii. Mais les sentiments des Allemands envers l’Angleterre ne sont pas tendres ; ceux des Anglais envers l’Allemagne le sont, en ce moment, moins encore. Et le francophilisme britannique s’accentua de l’impopularité de l’alliance Allemande qui, dans l’affaire du Venezuela avait failli brouiller les États-Unis avec l’Angleterre. Néanmoins, pour accessibles qu’elles soient à la foule, ces considérations n’auraient nullement suffi à échauffer l’enthousiasme sur le passage du président et à le porter à un pareil diapason. Ce sont les vieilles sympathies héréditaires qui y ont réussi. Elles cherchaient depuis longtemps l’occasion de se manifester. « Si le président Carnot venait à Londres, disait-on dans la cité, il y a déjà douze ans, il y serait reçu mieux que n’importe quel souverain ». Et l’événement est d’autant plus caractéristique que, dans l’intervalle, se sont produits les énervants épisodes de Fachoda et du Transvaal aggravés encore par la malencontreuse éloquence de M. Chamberlain.

C’est en Angleterre que sont les meilleurs amis de la France — non pas dans les rangs du pouvoir qui demeure égoïste et changeant ni dans ceux de l’aristocratie que gouverne un snobisme corrompu, mais parmi les masses laborieuses, parmi les classes moyennes, cette épine dorsale de la Old England. Là, on nous a toujours aimés d’une affection cordiale et durable, faite d’éléments très divers. La magie de notre histoire y est pour beaucoup ; l’esprit Anglais se plait aux contes merveilleux, aux épopées grandioses et quoi de plus merveilleux que les aventures d’une Jeanne d’Arc ou de plus épique que celles d’un Napoléon ? Il est curieux d’ailleurs que l’An-