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REVUE DU PAYS DE CAUX

prenait un plaisir égal à le voir et à l’entendre tant il y avait d’art, et d’art naturel, dans le moindre de ses mouvements. Il aimait particulièrement les oppositions bien rythmées, la malice rapide et les grandes envolées imprévues. L’auditeur qui souriait de quelque anecdote exquise ou de quelque trait bien lancé ne savait jamais si, la minute suivante, sa gorge ne se contracterait pas d’émotion ; et souvent il en était ainsi. Les passages émouvants empruntaient à leur soudaineté merveilleuse une grande partie de leur face. De toute façon l’impression était intense et durable.

Le style épistolaire de Jules Simon rappelait son langage. Il écrivait journellement des multitudes de billets, répondant à tout lui-même et le moindre de ces billets avait une saveur extraordinaire. Ses plus longues lettres devenaient facilement des modèles à faire pâlir Madame de Sévigné dont la plume n’avait pas autant d’élégance et infiniment moins de simplicité.

Sur ses vieux jours, Jules Simon était assis en face de sa grande table surchargée de papiers dans le désordre desquels il se reconnaissait sans peine ; autour de lui étaient ses livres, couvrant les murs ; et sur une console, des bronzes et des multitudes de médailles qu’on lui avait offertes rappelaient les œuvres auxquelles il se dévouait. Une couverture de laine sur ses genoux, il abattait là de formidables besognes, ayant d’ailleurs couru l’après-midi de séance en séance et trouvant encore le temps de recommander celui-ci ou d’apostiller la demande de celui-là. Couvé par la tendresse infatigable de la femme admirable qui partagea sa vie et ne lui survécut que pour le pleurer, il recevait libéralement les visiteurs, un peu maussade au début à l’idée d’être encore une fois dérangé, mais rasséréné bien vite et les retenant alors par le charme sans égal de sa conversation si pleine de souvenirs pittoresques et de pensées généreuses.

Les amis de Jules Simon ont la crainte que sa notoriété ne soit pas dans l’avenir à la hauteur de son talent et de ses services. Les bizarreries d’un Proudhon ou le tapage d’un Boulanger se repercutent plus longtemps à travers les échos de la postérité que les conseils de la sagesse. Ils souhaitent donc que quelque ouvrage relatant le détail de sa longue existence, résumant l’enseignement si élevé qu’il a donné par ses livres et par sa parole et faisant revivre ses traits aimés soit livré au public ; ouvrage de propagande dont il faudrait tirer une édition populaire, propre à être répandue en un grand nombre d’exemplaires. Il ne suffit pas que