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Or, Jules Simon n’avait rien de militaire dans son tempérament, ni dans son passé, ni dans sa mentalité. Au temps de sa jeunesse et jusque sous l’empire, il avait joint à celles de ses amis de virulentes apostrophes en faveur de la suppression des armées permanentes. Il s’était laissé bercer, comme beaucoup de sa génération, par le rêve de la paix générale et de la fraternité des peuples. Les malheurs de 1870 ayant achevé de l’éclairer sur ce point, c’est désormais dans une armée solide et incontestée qu’il faisait résider la sécurité de la patrie et les seuls espoirs de paix. À cette armée il donnait tout son cœur, sans chercher à expliquer autrement que par les faits l’évolution de son esprit ; il y a des opportunismes qui sont l’expression évidente du plus pur patriotisme. Tel était celui qui avait fait de Jules Simon un fervent militariste.

Nous en avons dit assez sur sa manière de mettre en pratique ses propres doctrines pour n’avoir pas à revenir sur la leçon dont il entendait la liberté. Il la voulait aussi étendue que possible ; il ne la voulait pas absolue. Dans le remarquable discours prononcé par M. Paul Deschanel, au nom de l’Académie, à la cérémonie d’inauguration de la statue de Jules Simon se trouvent à cet égard certains passages aussi exacts que suggestifs. « Jules Simon a dit M. Deschanel, comprend qu’à un monde nouveau, né de la science et du suffrage universel, il faut une organisation nouvelle et un droit nouveau. Il passe au crible de sa lucide raison les théories socialistes. Dans Saint-Simon, dans Fourier, il discerne la part de divination, l’aperçu de génie. L’association a été compromise parce que ses premiers apôtres ont voulu l’imposer ; il dégage l’association libre de l’association forcée et par là il la sauve. Il prédit que le bénéfice remplacera le salaire. Il prévoit le grand rôle de la mutualité, instrument futur des retraites ouvrières et celui de la coopération dont l’avenir sera incalculable lorsque ses quatre espèces : production, consommation, crédit, construction se pénétreront et se féconderont les unes les autres. Il veut que l’État travaille à se rendre utile en fortifiant l’initiative privée, mais il lui demande aussi de faire tout le bien dont l’initiative privée n’est pas encore capable. Contre ceux qui vont répétant que le droit de travailler est absolu et ne peut être restreint par le pouvoir social, il établit le droit de la société à assurer le recrutement de la société, son droit à protéger le droit dans la personne des opprimés.