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JULES SIMON

ves plus jeunes que lui qu’il fit travailler en dehors des classes à raison de trois francs par mois.

Quand il devint professeur à l’école normale, où dit-on sa juvénile silhouette le faisait prendre pour le condisciple de ses élèves, le charme de sa parole et l’ampleur de son érudition le mirent tout de suite hors de pair et bientôt la Sorbonne lui ouvrit ses portes. On sait comment elles lui furent fermées. C’était le 9 décembre 1851. Le lendemain, le peuple Français devait absoudre ou condamner, en un plébiciste solennel, les actes de violence par lesquels Louis-Napoléon Bonaparte avait établi sa dictature et préparé la restauration de l’empire. À l’auditoire nombreux qui suivait passionnément ses leçons, Jules Simon tint ce langage si fier : « Je suis ici professeur de morale. Je vous dois aujourd’hui non une leçon mais un exemple. Le droit vient d’être publiquement violé par celui qui avait la charge de le défendre. La France doit dire demain dans ses comices si elle approuve la violation du droit ou si elle la condamne. N’y eut-il dans les urnes qu’un seul bulletin pour prononcer la condamnation, je le revendique d’avance. Il sera mien. » Et comme les applaudissements éclataient de toutes parts : « Je prends vos applaudissements pour un serment, ajouta le vaillant professeur ; si jamais vous pactisez avec le crime pour avoir votre part dans le bénéfice, souvenez-vous que vous serez des parjures ». Ce jour-là, Jules Simon faisait à sa conscience un sacrifice bien plus grand qu’on ne l’a dit et cru depuis. Non seulement la destitution certaine à laquelle il s’exposait et qui survint tout aussitôt le laissait sans ressources, mais les circonstances lui enlevaient jusqu’au moyen de s’en créer d’autres ; la liberté de la presse allait s’éclipser avec celle de la parole et il était impossible de prévoir combien de temps durerait le régime qui venait de s’établir ; d’autant plus longtemps sans doute qu’il se bornait à museler la pensée, laissant les autres formes de l’activité humaine se manifester librement.

Cette scène mémorable de 1851 est l’objet d’un des deux bas-reliefs qui ornent le piédestal de la statue élevée sur la place de la Madeleine. L’autre rappelle le travail de l’écrivain, enseignant par ses livres en attendant que la tribune lui fut rendue. On ne lira plus beaucoup les livres de Jules Simon pour une raison très rare et très flatteuse, c’est qu’ils sont réalisés ; les idées dont il s’était fait le champion sont admises presque unanimement ; les réformes qu’il préconisait sont accomplies. Il y a même autour de