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HISTOIRE D’UN ARCHIPEL BRUMEUX

paysage et ceux qui… regardent par dessus le bord. Il fait grand vent et la mer est démontée. Les îles sont splendides à travers la tempête. Des tourbillons d’écume indiquent çà et là les écueils ; tout à coup apparaît une masse sombre aux arêtes vives qui grandit peu à peu ; c’est Staffa.

Le steamer s’arrête ; l’île le protège. Mais le remous est si fort que les canots de débarquement montent et descendent sur ses flancs de la façon la plus incommode. Dix minutes après nous prenions pied sur des fûts de basalte symétriques comme les marches d’un escalier. Une promenade d’un mille nous conduira de l’autre côté de l’îlot à l’orifice de la grotte. Le plateau tacheté de trèfles incarnat sert de pâture à une vingtaine de moutons ; pas une butte, pas une broussaille. Dans le cercle d’horizon, une ceinture de roches noires. On dirait les sommets d’une chaîne de montagnes englouties dans la mer. Il a déjà été observé d’ailleurs que les rocs basaltiques se reproduisaient régulièrement dans ces parages dans la direction du Sud au Nord et à peu près sous le même méridien. La chaussée des géants (Irlande) se présente la première. Staffa lui succède ; puis vingt lieues plus loin le rocher d’Humbla et finalement les colonnes de Bris-Marwl dans l’île de Skye. Il est probable que la profondeur de l’océan recèle les chainons invisibles qui réunissent ces quatre points.

La grotte n’est pas immense ; elle mesuse 70 mètres de profondeur, mais on y sent l’abîme. L’œil ne pénètre pas dans les recoins obscurs des colonnades, et quand le flot qui vient d’entrer se retire, tout au fond, contre la sombre paroi qui la termine, il se produit un vide qui donne le vertige. Les eaux sont d’un vert d’émeraude, tacheté par les noirs piliers qui s’y enfoncent. Quant à ce mystérieux concert que Mendelsohn a cherché à rendre, c’est un murmure confus, sonore, produit par le chant régulier de la vague et accompagné par les trilles de l’eau sur le roc. Des cris indistincts sortis on ne sait d’où, des clameurs surhumaines en rompent l’harmonie monotone. Puis tous ces instruments semblent s’attendre pour frapper ensemble le dernier accord ; accord parfait qui vibre longtemps à l’oreille de celui qui l’a entendu, et marque dans la grotte de Fingal, les diverses phases d’une symphonie sans fin.

Les Anglais ne sont pas ultra-sentimentaux, mais ils sentent fort bien ce qui est grand. Dans la grotte de Fingal, le silence avait d’abord régné, un silence plein de respect, puis les voix