Page:Revue du Pays de Caux n3 mai 1903.djvu/17

Cette page a été validée par deux contributeurs.
97
CE QUI SE PASSE DANS LE MONDE

un passant obstinément planté sur sa route. L’impression d’ensemble est celle d’un douloureux hasard, d’une catastrophe unique dont il faut tenir compte sans doute mais dont on ne doit pas perdre de vue le caractère exceptionnel.

Le centenaire d’Emerson.

Le jour même New-York célébrait le deux cent cinquantième anniversaire de sa fondation, elle acclamait, à l’occasion de son centenaire, le nom de Ralph W. Emerson, celui qu’on a nommé le « Montaigne Américain » et qui ne mérite pas tout à fait ce titre car leurs analogies sont uniquement dans le style et dans la forme, point du tout dans la pensée. Emerson est un entraîneur, un amoureux de l’effort, un convaincu de l’action ; mais chez lui, entraînement, effort, action s’enveloppent d’art et se revêtent de beauté. Emerson naquit à Concord dans le Massachussetts ; aussi est-ce dans cet État, et, en particulier à l’université d’Harvard qui y est située — que sa mémoire a été célébrée avec le plus d’éclat. Toutefois sa réputation est trop grande et trop méritée pour que la république toute entière n’ait pas tenu à honneur d’y participer. Ce n’est pas par le nombre de ses volumes qu’Emerson a exercé de l’influence sur ses concitoyens — une influence énorme en vérité et qui dépasse de beaucoup ce que les Américains eux-mêmes s’imaginent lui devoir ; c’est par les quelques idées-mères qu’il a jetées autour de lui : son modernisme d’abord ; il aime son temps ; il a foi en l’avenir ; il conseille de chercher à en faire jaillir de la beauté et de la poésie plutôt que de s’attarder à de vains regrets, à de vaines considérations sur le passé. Ensuite son respect de l’individu. Pour lui l’effort individuel est le grand créateur, le grand faiseur de merveilles ; de lui il attend tout progrès solide, toute nouveauté précieuse. Et enfin le sentiment du rôle rénovateur réservé à l’Amérique dans le monde ; ce sentiment là a toujours puissamment remué les esprits d’outre-mer et nul ne l’a exprimé avec plus de vigueur discrète et de sincérité émue qu’Emerson. Il n’en fallait pas tant pour faire de ce simple ministre d’un culte dissident une sorte d’écrivain national en qui se reflète et s’anime l’âme muette et passionnée de la foule.