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REVUE DU PAYS DE CAUX

En réalité, la courbe graphique des familles, pas plus que celle des peuples, n’est tracée régulièrement ; elle s’élève et s’abaisse par brusques saccades et vouloir organiser la montée régulière de la famille vers l’aristocratie ne serait pas moins sot que de prétendre décréter le nivelage démocratique des intelligences.

Et pourtant, il y a quelque chose de fondé et de vrai dans la thèse de M. Paul Bourget, ce qui fait qu’après l’avoir d’abord trouvée absurde, on se sent porté à la discuter. M. Bourget, et d’autres avec lui, ont pu se rendre compte que, dans certaines situations, la valeur individuelle, si haute fût-elle, avait besoin d’être assaisonnée de qualités sociales qui ne s’improvisent guère. Cela a toujours été vrai ; on appelait cela « la race ». Depuis que le régime républicain s’est établi en France, la race fait défaut d’une façon un peu trop générale. Ce n’est pas, soit dit en passant, que les régimes précédents en aient eu à revendre ; le ton casino du second Empire et les allures bourgeoises de la monarchie de Juillet n’étaient point tellement supérieurs à la gaucherie étriquée de la Troisième République ; il faudrait donc remonter à la Restauration ; évidemment pour négocier avec l’Europe, le libérateur du territoire de 1817 trouva, dans sa qualité de Richelieu, certaines facilités que ne donnèrent pas à celui de 1873 ses talents d’historien et sa renommée d’orateur.

Il serait à désirer que parmi les hauts fonctionnaires actuels et surtout pour tout ce qui touche à la diplomatie, un peu de race vint se mélanger à de très réelles qualités d’esprit et de cœur. Oui, cela serait désirable… mais que nous sommes loin des conclusions de Bourget et de cette thèse qui, généralisée, prétendait aboutir à démontrer scientifiquement la nécessité de la monarchie ! Il faut, dit-il, une famille royale dont le métier héréditaire soit de régner. A-t-il pensé à Bernadotte en écrivant son livre ; car si, peut-être, il attribue les malheurs des Bonaparte à ce qu’ils se sont « élevés trop vite », impossible de ne pas reconnaître qu’il n’en a rien coûté au chef de la dynastie suédoise pour avoir « brûlé tant d’étapes ». Alors, si de simple aubergiste on peut devenir roi, pourquoi donc le fils d’un cultivateur serait-il déplacé dans une chaire d’université ?

La bonne étape, c’est celle que vous fournissez ; par-là même que vous y réussissez, c’est que la distance ne dépassait pas vos