Page:Revue du Pays de Caux n3 juillet 1902.djvu/34

Cette page a été validée par deux contributeurs.
114
REVUE DU PAYS DE CAUX

nières escortées de poulains bondissants, s’étageaient entre les oies et les ajoncs ; sur la gauche, un village de toile grise s’était improvisé : boutiques, restaurants, cafés. Le regard embrassait tout cela d’un seul coup pour venir se reposer ensuite sur les haies verdoyantes qui fermaient la vallée. Le tableau pour surprenant qu’il fût, charmait néanmoins par son originalité et sa diversité. Nous nous mîmes à gravir, traversant d’abord la région des oies où flottait, comme une neige, un blanc duvet très léger. Le pays des bœufs fut plus long et plus difficile à parcourir ; les habitants animés d’intentions mauvaises ne se dérangeaient point. Quelques-uns, en conciliabule sérieux, paraissaient examiner l’opportunité d’une grève générale. Les chevaux occupaient toute la lande supérieure ; les mères venues de loin et fatiguées par la route remuaient peu ; sur leur poil luisant, la selle normande — un simple tapis de cuir piqué, tranchait allègrement ; les poulains gambadaient tout autour, joyeux du bruit et du mouvement, heureux de vivre dans le plein air de ce site champêtre et les Normands se les disputaient sans en avoir l’air. « Vingt trois pistoles » disait l’acheteur en simulant l’indifférence, décidé s’il le fallait à aller jusqu’à trente. L’autre protestait comme si on lui eût offert deux francs cinquante. Finalement il livrait sa bête après s’être fait promettre quelque boustifaille en surplus.

Leurs vestes lâches en forme de blouses très courtes étaient faites d’étoffes sombres. Au col, une agrafe de métal et sur la tête un petit chapeau plat. Les femmes étaient en bonnet, sauf quelques riches fermières dont les toilettes ineffables reproduisaient le coloris de l’arc-en-ciel. L’une d’elles, géante et rougeaude, portait un chapeau couvert de dahlias et une confection gris-clair ornée de verroteries à reflets chatoyants. Je la retrouvai un peu plus tard au café Brisset, dévorant à belles dents du gigot et de la langouste près de son époux, dont le vaste sourire indiquait l’état d’âme. Évidemment, il avait gagné « queuques sous ».

Le café Brisset groupait sous sa longue charpente la haute gomme de la foire : éleveurs de Caen aux allures importantes, paysans rusés avec des yeux tout autour de la tête ; je crois même y avoir rencontré un député et — pour représenter le sport — un cycliste dont la monture gisait, toute poussiéreuse, à l’entrée de « l’Avenue des Gigots. »

Un poème, cette avenue ! Soixante ou soixante-dix broches tournant devant une quinzaine de brasiers comme savent en allu-